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Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/48

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poser qu’il fréquenterait toujours les Verdurin (proposition qui, a priori, soulevait moins d’objections de principe de la part de son intelligence), il se voyait dans l’avenir continuant à rencontrer chaque soir Odette ; cela ne revenait peut-être pas tout à fait au même que l’aimer toujours, mais, pour le moment, pendant qu’il l’aimait, croire qu’il ne cesserait pas un jour de la voir, c’est tout ce qu’il demandait. « Quel charmant milieu, se disait-il. Comme c’est au fond la vraie vie qu’on mène là ! Comme on y est plus intelligent, plus artiste que dans le monde ! Comme Mme Verdurin, malgré de petites exagérations un peu risibles, a un amour sincère de la peinture, de la musique ! Quelle passion pour les œuvres, quel désir de faire plaisir aux artistes ! Elle se fait une idée inexacte des gens du monde ; mais avec cela que le monde n’en a pas une plus fausse encore, des milieux artistes ! Peut-être n’ai-je pas de grands besoins intellectuels à assouvir dans la conversation, mais je me plais parfaitement bien avec Cottard, quoiqu’il fasse des calembours ineptes. Et quant au peintre, si sa prétention est déplaisante quand il cherche à étonner, en revanche c’est une des plus belles intelligences que j’aie connues. Et puis surtout, là, on se sent libre, on fait ce qu’on veut sans contrainte, sans cérémonie. Quelle dépense de bonne humeur il se fait par jour dans ce salon-là. Décidément, sauf quelques rares exceptions, je n’irai plus jamais que dans ce milieu. C’est là que j’aurai de plus en plus mes habitudes et ma vie. »

Et comme les qualités qu’il croyait intrinsèques aux Verdurin n’étaient que le reflet sur eux de plaisirs qu’avait goûtés chez eux son amour pour Odette, ces qualités devenaient plus sérieuses, plus profondes, plus vitales, quand ces plaisirs l’étaient