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Page:Émile Nelligan et son œuvre.djvu/44

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XXVIII
ÉMILE NELLIGAN

Loin des vitres ! clairs yeux dont je bois les liqueurs.
Et ne vous souillez pas à contempler les plèbes !

Voici une peinture ultra-pittoresque de trois perroquets empaillés sur une console :

Tel un trio spectral de pailles immobiles.
Sur la corniche où vibre un effroi de sébiles,
Se juxtaposera leur vieille intimité.

Et c’est une allusion symbolique, oh ! combien ! que cette morale à propos d’un soulier, dernier souvenir d’une morte :

Mon âme est un soulier percé !

Encore y a-t-il là quelque chose de trouvé, et que tout le monde n’eût pas trouvé. Je voudrais que Nelligan n’eût jamais fait pis, qu’il n’eût jamais traîné par les cheveux l’image embarrassée et pénible, l’image ronflante et déclamatoire. Cela lui arrive pourtant, dans ses mauvais jours. Ne baptise-t-il pas notre ami Gill :

Jumeau de l’idéal, ô brun enfant d’Apelle !

Et ne poursuit-il pas, trois vers durant, cette insipide métaphore :

Je plaque lentement les doigts de mes névroses,
Chargés des anneaux noirs de mes dégoûts mondains
Sur le sombre clavier de la vie et des choses.

Mais il n’est bon cheval qui ne bronche, ni bon poète qui ne divague. Ces faiblesses sont l’exception : en général l’image jaillit alerte et bien frappée, forte et juste : et, mieux que tout le reste, cette faculté d’imaginer en neuf consacre le talent poétique de Nelligan, le place peut-être hors de pair dans notre pléiade naissante.