Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
138
MARGUERITE

heure, malgré les secours, avait inquiété tout le monde. Madame d’Arzac commençait à s’alarmer de cette situation plaisamment romanesque dont elle affectait de rire ; et elle accourut chez sa fille, très-décidée à lui parler franchement. Mais quand elle s’approcha de Marguerite et qu’elle remarqua sa pâleur, son accablement profond, elle comprit que la pauvre femme n’était pas en état d’écouter des remontrances ; et elle imagina d’aller le soir même chez son beau-frère, pour l’engager à hâter le mariage de son fils et à vaincre les sentiments de fausse délicatesse qui empêchaient Étienne de rappeler à Marguerite sa promesse. Madame d’Arzac resta toute la journée près de sa fille, méditant silencieusement ce beau projet ; vers sept heures, elle la quitta et s’en alla sournoisement chez le vieux comte d’Arzac ourdir le complot de famille qui devait chasser à jamais M. de la Fresnaye de la maison et assurer le repos de Marguerite.

Aussitôt que sa mère fut partie, Marguerite se remit à pleurer ; sa haine contre elle-même n’était point calmée. Un moment elle avait pensé à avouer à sa mère son désespoir et ses angoisses ; mais la honte l’avait retenue. Il y a des choses qu’on ne peut avouer à une mère, par respect pour elle.

Madame de Meuilles se demandait comment elle allait faire pour éloigner d’elle ces deux hommes qui l’aimaient, et tout à coup, malgré ses larmes, elle sourit de l’étrange idée qui lui venait : c’était de dire à Étienne qu’elle aimait Robert, et à Robert qu’elle aimait Étienne… Mais ce moyen, outre qu’il lui semblait contraire à sa dignité, était encore dangereux : Étienne se serait découragé et serait parti ; mais Robert n’aurait pas perdu l’espoir, il serait resté ; par le fait, c’était choisir Robert. Sa perplexité était grande.

Marguerite avait quitté sa chambre à coucher, et elle était étendue sur un canapé dans son salon. Fatiguée de cette longue nuit sans sommeil, elle s’endormit un instant. Comme elle avait bien recommandé qu’on ne laissât entrer personne chez elle, ni parents, ni amis, elle était en sécurité. Oh ! si quelqu’un était venu à l’heure habituelle des visites, on l’eût renvoyé impitoyablement ; le valet de chambre, à qui avait été donné cet ordre exprès, aurait fait son devoir en dragon ; mais