Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Il ne va donc pas ? me répondit mon père en souriant et me traitant en ambassadrice. — Vous prenez Clarisse Harlowe pour Figaro ! lui ai-je dit en lui jetant un regard plein de dédain et de raillerie. Quand vous m’aurez vu la main droite dégantée, vous démentirez ce bruit impertinent, et vous vous en montrerez offensé. — Je puis être tranquille sur ton avenir : tu n’as pas plus la tête d’une fille que Jeanne d’Arc n’avait le cœur d’une femme. Tu seras heureuse, tu n’aimeras personne et te laisseras aimer ! Pour cette fois, j’éclatai de rire. — Qu’as-tu, ma petite coquette ? me dit-il. — Je tremble pour les intérêts de mon pays… Et, voyant qu’il ne me comprenait pas, j’ajoutai : à Madrid ! — Vous ne sauriez croire à quel point, au bout d’une année, cette religieuse se moque de son père, dit-il à la duchesse. — Armande se moque de tout, répliqua ma mère en me regardant. — Que voulez-vous dire ? lui demandai-je. — Mais vous ne craignez même pas l’humidité de la nuit qui peut vous donner des rhumatismes, dit-elle en me lançant un nouveau regard. — Les matinées, répondis-je, sont si chaudes ! La duchesse a baissé les yeux. — Il est bien temps de la marier, dit mon père, et ce sera, je l’espère, avant mon départ. — Oui, si vous le voulez, lui ai-je répondu simplement.

Deux heures après, ma mère et moi, la duchesse de Maufrigneuse et madame d’Espard, nous étions comme quatre roses sur le devant de la loge. Je m’étais mise de côté, ne présentant qu’une épaule au public et pouvant tout voir sans être vue dans cette loge spacieuse qui occupe un des deux pans coupés au fond de la salle, entre les colonnes. Macumer est venu, s’est planté sur ses jambes et a mis ses jumelles devant ses yeux pour pouvoir me regarder à son aise. Au premier entr’acte, est entré celui que j’appelle le roi des Ribauds, un jeune homme d’une beauté féminine. Le comte Henri de Marsay s’est produit dans la loge avec une épigramme dans les yeux, un sourire sur les lèvres, un air joyeux sur toute la figure. Il a fait les premiers compliments à ma mère, à madame d’Espard, à la duchesse de Maufrigneuse, aux comtes d’Esgrignon et de Saint-Héreen ; puis il me dit : — Je ne sais pas si je serai le premier à vous complimenter d’un événement qui va vous rendre un objet d’envie. — Ah ! un mariage, ai-je dit. Est-ce une jeune personne si récemment sortie du couvent qui vous apprendra que les mariages dont on parle ne se font jamais ? Monsieur de Marsay s’est penché à l’oreille de Macumer, et j’ai parfaitement compris, par le