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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/104

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une dizaine de jours, je connais ce qu’est cette galanterie espagnole si fameuse autrefois.

Ah çà, chère, que se passe-t-il à la Crampade, où je me promène si souvent en examinant les progrès de notre agriculture ? N’as-tu rien à me dire de nos mûriers, de nos plantations de l’hiver dernier ? Tout y réussit-il à tes souhaits ? Les fleurs sont-elles épanouies dans ton cœur d’épouse en même temps que celles de nos massifs ? je n’ose dire de nos plates-bandes. Louis continue-t-il son système de madrigaux ? Vous entendez-vous bien ? Le doux murmure de ton filet de tendresse conjugale vaut-il mieux que la turbulence des torrents de mon amour ? Mon gentil docteur en jupon s’est-il fâché ? Je ne saurais le croire, et j’enverrais Felipe en courrier se mettre à tes genoux et me rapporter ta tête ou mon pardon s’il en était ainsi. Je fais une belle vie ici, cher amour, et je voudrais savoir comment va celle de Provence. Nous venons d’augmenter notre famille d’un Espagnol coloré comme un cigare de la Havane, et j’attends encore tes compliments.

Vraiment, ma belle Renée, je suis inquiète, j’ai peur que tu ne dévores quelques souffrances pour ne pas en attrister mes joies, méchante ! Écris-moi promptement quelques pages où tu me peignes ta vie dans ses infiniment petits, et dis-moi bien si tu résistes toujours, si ton libre arbitre est sur ses deux pieds ou à genoux, ou bien assis, ce qui serait grave. Crois-tu que les événements de ton mariage ne me préoccupent pas ? Tout ce que tu m’as écrit me rend parfois rêveuse. Souvent, lorsqu’à l’Opéra je paraissais regarder des danseuses en pirouette, je me disais : Il est neuf heures et demie, elle se couche peut-être, que fait-elle ? Est-elle heureuse ? Est-elle seule avec son libre arbitre ? ou son libre arbitre est-il où vont les libres arbitres dont on ne se soucie plus ?… Mille tendresses.




XXV

RENÉE DE L’ESTORADE À LOUISE DE CHAULIEU.


Octobre.

Impertinente ! pourquoi t’aurais-je écrit ? que t’eussé-je dit ? Durant cette vie animée par les fêtes, par les angoisses de l’amour,