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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/123

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car tu m’as un peu punie en rendant tes lettres rares. Écris-moi, ma chère mignonne ! Dis-moi tous tes plaisirs, peins-moi ton bonheur à grandes teintes, verses-y l’outre-mer sans craindre de m’affliger, car je suis heureuse et plus heureuse que tu ne l’imagineras jamais.

Je suis allée à la paroisse entendre une messe de relevailles, en grande pompe, comme cela se fait dans nos vieilles familles de Provence. Les deux grands-pères, le père de Louis, le mien me donnaient le bras. Ah ! jamais je ne me suis agenouillée devant Dieu dans un pareil accès de reconnaissance. J’ai tant de choses à te dire, tant de sentiments à te peindre, que je ne sais par où commencer ; mais, du sein de cette confusion, s’élève un souvenir radieux, celui de ma prière à l’église !

Quand, à cette place où, jeune fille, j’ai douté de la vie et de mon avenir, je me suis retrouvée métamorphosée en mère joyeuse, j’ai cru voir la Vierge de l’autel inclinant la tête et me montrant l’Enfant divin qui a semblé me sourire ! Avec quelle sainte effusion d’amour céleste j’ai présenté notre petit Armand à la bénédiction du curé, qui l’a ondoyé en attendant le baptême. Mais tu nous verras ensemble, Armand et moi.

Mon enfant, voilà que je t’appelle mon enfant ! mais c’est en effet le plus doux mot qu’il y ait dans le cœur, dans l’intelligence et sur les lèvres quand on est mère. Or donc, ma chère enfant, je me suis traînée, pendant les deux derniers mois, assez languissamment dans nos jardins, fatiguée, accablée par la gêne de ce fardeau que je ne savais pas être si cher et si doux malgré les ennuis de ces deux mois. J’avais de telles appréhensions, des prévisions si mortellement sinistres, que la curiosité n’était pas la plus forte : je me raisonnais, je me disais que rien de ce que veut la nature n’est à redouter, je me promettais à moi-même d’être mère. Hélas ! je ne me sentais rien au cœur, tout en pensant à cet enfant qui me donnait d’assez jolis coups de pied ; et, ma chère, on peut aimer à les recevoir quand on a déjà eu des enfants ; mais, pour la première fois, ces débats d’une vie inconnue apportent plus d’étonnement que de plaisir. Je te parle de moi, qui ne suis ni fausse ni théâtrale, et dont le fruit venait plus de Dieu, car Dieu donne les enfants, que d’un homme aimé. Laissons ces tristesses passées et qui ne reviendront plus, je le crois.

Quand la crise est venue, j’ai rassemblé en moi les éléments