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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/125

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louse, combien tu apprécieras un plaisir qui n’est qu’entre nous, l’enfant et Dieu. Ce petit être ne connaît absolument que notre sein. Il n’y a pour lui que ce point brillant dans le monde, il l’aime de toutes ses forces, il ne pense qu’à cette fontaine de vie, il y vient et s’en va pour dormir, il se réveille pour y retourner. Ses lèvres ont un amour inexprimable, et, quand elles s’y collent, elles y font à la fois une douleur et un plaisir, un plaisir qui va jusqu’à la douleur, ou une douleur qui finit par un plaisir ; je ne saurais t’expliquer une sensation qui du sein rayonne en moi jusqu’aux sources de la vie, car il semble que ce soit un centre d’où partent mille rayons qui réjouissent le cœur et l’âme. Enfanter, ce n’est rien ; mais nourrir, c’est enfanter à toute heure. Oh ! Louise, il n’y a pas de caresses d’amant qui puissent valoir celles de ces petites mains roses qui se promènent si doucement, et cherchent à s’accrocher à la vie. Quels regards un enfant jette alternativement de notre sein à nos yeux ! Quels rêves on fait en le voyant suspendu par les lèvres à son trésor ? Il ne tient pas moins à toutes les forces de l’esprit qu’à toutes celles du corps, il emploie et le sang et l’intelligence, il satisfait au delà des désirs. Cette adorable sensation de son premier cri, qui fut pour moi ce que le premier rayon du soleil a été pour la terre, je l’ai retrouvée en sentant mon lait lui emplir la bouche ; je l’ai retrouvée en recevant son premier regard, je viens de la retrouver en savourant dans son premier sourire sa première pensée. Il a ri, ma chère. Ce rire, ce regard, cette morsure, ce cri, ces quatre jouissances sont infinies : elles vont jusqu’au fond du cœur, elles y remuent des cordes qu’elles seules peuvent remuer ! Les mondes doivent se rattacher à Dieu comme un enfant se rattache à toutes les fibres de sa mère : Dieu, c’est un grand cœur de mère. Il n’y a rien de visible, ni de perceptible dans la conception, ni même dans la grossesse ; mais être nourrice, ma Louise, c’est un bonheur de tous les moments. On voit ce que devient le lait, il se fait chair, il fleurit au bout de ces doigts mignons qui ressemblent à des fleurs et qui en ont la délicatesse ; il grandit en ongles fins et transparents, il s’effile en cheveux, il s’agite avec les pieds. Oh ! des pieds d’enfant, mais c’est tout un langage. L’enfant commence à s’exprimer par là. Nourrir, Louise ! c’est une transformation qu’on suit d’heure en heure et d’un œil hébété. Les cris, vous ne les entendez point par les oreilles, mais par le cœur ; les sourires des yeux et des lèvres, ou les agitations des pieds, vous les