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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/141

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tout ce que mon indignation pourrait me suggérer. Je vais seulement te raconter les effets produits par ta lettre. Au retour de la fête charmante que nous a donnée l’ambassadeur et où j’ai brillé de tout mon éclat, d’où Macumer est revenu dans un enivrement de moi que je ne saurais peindre, je lui ai lu ton horrible réponse, et je la lui ai lue en pleurant, au risque de lui paraître laide. Mon cher Abencerrage est tombé à mes pieds en te traitant de radoteuse ; il m’a emmenée au balcon du palais où nous sommes, et d’où nous voyons une partie de Rome : là, son langage a été digne de la scène qui s’offrait à nos yeux ; car il faisait un superbe clair de lune. Comme nous savons déjà l’italien, son amour, exprimé dans cette langue si molle et si favorable à la passion, m’a paru sublime. Il m’a dit que, quand même tu serais prophète, il préférait une nuit heureuse ou l’une de nos délicieuses matinées à toute une vie. À ce compte, il avait déjà vécu mille ans. Il voulait que je restasse sa maîtresse, et ne souhaitait pas d’autre titre que celui de mon amant. Il est si fier et si heureux de se voir chaque jour le préféré que, si Dieu lui apparaissait et lui donnait à opter entre vivre encore trente ans selon ta doctrine et avoir cinq enfants, ou n’avoir plus que cinq ans de vie en continuant nos chères amours fleuries, son choix serait fait : il aimerait mieux être aimé comme je l’aime et mourir. Ces protestations dites à mon oreille, ma tête sur son épaule, son bras autour de ma taille, ont été troublées en ce moment par les cris de quelque chauve-souris qu’un chat-huant avait surprise. Ce cri de mort m’a fait une si cruelle impression que Felipe m’a emportée à demi évanouie sur mon lit. Mais rassure-toi ! quoique cet horoscope ait retenti dans mon âme, ce matin je vais bien. En me levant, je me suis mise à genoux devant Felipe, et, les yeux sous les siens, ses mains prises dans les miennes, je lui ai dit : — Mon ange, je suis un enfant, et Renée pourrait avoir raison : c’est peut-être seulement l’amour que j’aime en toi ; mais du moins sache qu’il n’y a pas d’autre sentiment dans mon cœur, et que je t’aime alors à ma manière. Enfin si dans mes façons, dans les moindres choses de ma vie et de mon âme, il y avait quoi que ce soit de contraire à ce que tu voulais ou espérais de moi, dis-le ! fais-le-moi connaître ! j’aurai du plaisir à t’écouter et à ne me conduire que par la lueur de tes yeux. Renée m’effraie, elle m’aime tant !

Macumer n’a pas eu de voix pour me répondre, il fondait en lar-