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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/175

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dre, demander, recevoir un baiser de cet ange, une nécessité de mon existence.

Néanmoins, le système de garder les enfants à la maison paternelle a des inconvénients, et je les ai bien reconnus. La Société, comme la Nature, est jalouse, et ne laisse jamais entreprendre sur ses lois ; elle ne souffre pas qu’on lui en dérange l’économie. Ainsi dans les familles où l’on conserve les enfants, ils y sont trop tôt exposés au feu du monde, ils en voient les passions, ils en étudient les dissimulations. Incapables de deviner les distinctions qui régissent la conduite des gens faits, ils soumettent le monde à leurs sentiments, à leurs passions, au lieu de soumettre leurs désirs et leurs exigences au monde ; ils adoptent le faux éclat, qui brille plus que les vertus solides, car c’est surtout les apparences que le monde met en dehors et habille de formes menteuses. Quand, dès quinze ans, un enfant a l’assurance d’un homme qui connaît le monde, il est une monstruosité, devient vieillard à vingt-cinq ans, et se rend par cette science précoce, inhabile aux véritables études sur lesquelles reposent les talents réels et sérieux. Le monde est un grand comédien ; et, comme le comédien, il reçoit et renvoie tout, il ne conserve rien. Une mère doit donc, en gardant ses enfants, prendre la ferme résolution de les empêcher de pénétrer dans le monde, avoir le courage de s’opposer à leurs désirs et aux siens, de ne pas les montrer. Cornélie devait serrer ses bijoux. Ainsi ferai-je, car mes enfants sont toute ma vie.

J’ai trente ans, voici le plus fort de la chaleur du jour passé, le plus difficile du chemin fini. Dans quelques années, je serai vieille femme, aussi puisé-je une force immense au sentiment des devoirs accomplis. On dirait que ces trois petits êtres connaissent ma pensée et s’y conforment. Il existe entre eux, qui ne m’ont jamais quittée, et moi, des rapports mystérieux. Enfin, ils m’accablent de jouissances, comme s’ils savaient tout ce qu’ils me doivent de dédommagements.

Armand, qui pendant les trois premières années de ses études a été lourd, méditatif, et qui m’inquiétait, est tout à coup parti. Sans doute il a compris le but de ces travaux préparatoires que les enfants n’aperçoivent pas toujours, et qui est de les accoutumer au travail, d’aiguiser leur intelligence et de les façonner à l’obéissance, le principe des sociétés. Ma chère, il y a quelques jours, j’ai eu l’enivrante sensation de voir au concours général, en pleine Sor-