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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/190

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devant un adversaire qui consentît enfin à se laisser abuser. Cette complaisance est venue trop tard, comme toujours dans ces sortes de scènes. D’ailleurs, j’avais commis la faute contre laquelle ma mère avait essayé de me prémunir. Ma jalousie s’était montrée à découvert et établissait la guerre et ses stratagèmes entre Gaston et moi. Ma chère, la jalousie est essentiellement bête et brutale. Je me suis alors promis de souffrir en silence, de tout espionner, d’acquérir une certitude, et d’en finir alors avec Gaston, ou de consentir à mon malheur ; il n’y a pas d’autre conduite à tenir pour les femmes bien élevées. Que me cache-t-il ? car il me cache un secret. Ce secret concerne une femme. Est-ce une aventure de jeunesse de laquelle il rougisse ? Quoi ? Ce quoi ? ma chère, est gravé en quatre lettres de feu sur toutes choses. Je lis ce fatal mot en regardant le miroir de mon étang, à travers mes massifs, aux nuages du ciel, aux plafonds, à table, dans les fleurs de mes tapis. Au milieu de mon sommeil, une voix m’écrie : — Quoi ? À compter de cette matinée, il y eut dans notre vie un cruel intérêt, et j’ai connu la plus âcre des pensées qui puissent corroder notre cœur : être à un homme que l’on croit infidèle. Oh ! ma chère, cette vie tient à la fois à l’enfer et au paradis. Je n’avais pas encore posé le pied dans cette fournaise, moi jusqu’alors si saintement adorée.

— Ah ! tu souhaitais un jour de pénétrer dans les sombres et ardents palais de la souffrance ? me disais-je. Eh ! bien, les démons ont entendu ton fatal souhait : marche, malheureuse !


30 Mai.

Depuis ce jour, Gaston, au lieu de travailler mollement et avec le laissez-aller de l’artiste riche qui caresse son œuvre, se donne des tâches comme l’écrivain qui vit de sa plume. Il emploie quatre heures tous les jours à finir deux pièces de théâtre.

— Il lui faut de l’argent ! Cette pensée me fut soufflée par une voix intérieure. Il ne dépense presque rien ; et comme nous vivons dans une absolue confiance, il n’est pas un coin de son cabinet où mes yeux et mes doigts ne puissent fouiller. Sa dépense par an ne se monte pas à deux mille francs. Je lui sais trente mille francs moins amassés que mis dans un tiroir. Au milieu de la nuit, je suis allée pendant son sommeil voir si la somme y était toujours. Quel frisson glacial m’a saisie en trouvant le tiroir vide ! Dans la même