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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/263

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la plus dangereuse de ces conversations où excellent les Parisiennes, il craignit de se laisser surprendre des aveux que la marquise aurait aussitôt exploités dans ses moqueries ; il se retira prudemment en voyant entrer lady Dudley.

— Hé ! bien, dit l’Anglaise à la marquise, où en sont-ils ?

— Ils s’aiment à la folie. Nathan vient de me le dire.

— Je l’aurais voulu plus laid, répondit lady Dudley, qui jeta sur le comte Félix un regard de vipère. D’ailleurs, il est bien ce que je le voulais ; il est fils d’un brocanteur juif, mort en banqueroute dans les premiers jours de son mariage ; mais sa mère était catholique, elle en a malheureusement fait un chrétien.

Cette origine que Nathan cache avec tant de soin, lady Dudley venait de l’apprendre, elle jouissait d’avance du plaisir qu’elle aurait à tirer de là quelque terrible épigramme contre Vandenesse.

— Et moi qui viens de l’inviter à venir chez moi ! dit la marquise.

— Ne l’ai-je pas reçu hier ? répondit lady Dudley. Il y a, mon ange, des plaisirs qui nous coûtent bien cher.

La nouvelle de la passion mutuelle de Raoul et de madame de Vandenesse circula dans le monde pendant cette soirée, non sans exciter des réclamations et des incrédulités ; mais la comtesse fut défendue par ses amies, par lady Dudley, mesdames d’Espard et de Manerville, avec une maladroite chaleur qui put donner quelque créance à ce bruit. Vaincu par la nécessité, Raoul alla le mercredi soir chez la marquise d’Espard, et il y trouva la bonne compagnie qui y venait. Comme Félix n’accompagna point sa femme, Raoul put échanger avec Marie quelques phrases plus expressives par leur accent que par les idées. La comtesse, mise en garde contre la médisance par madame Octave de Camps, avait compris l’importance de sa situation en face du monde, et la fit comprendre à Raoul.

Au milieu de cette belle assemblée, l’un et l’autre eurent donc pour tout plaisir ces sensations alors si profondément savourées que donnent les idées, la voix, les gestes, l’attitude d’une personne aimée. L’âme s’accroche violemment à des riens. Quelquefois les yeux s’attachent de part et d’autre sur le même objet en y incrustant, pour ainsi dire, une pensée prise, reprise et comprise. On admire pendant une conversation le pied légèrement avancé, la main qui palpite, les doigts occupés à quelque bijou frappé, laissé, tourmenté d’une manière significative. Ce n’est plus ni les idées, ni