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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/302

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than pouvait avoir su déjà comment s’étaient arrangées les choses, mais il fallait hasarder un peu pour gagner beaucoup. Dans son trouble, Marie pouvait bien avoir oublié de demander à son Raoul un titre pour Schmuke. L’homme d’affaires alla sur-le-champ au journal, et revint triomphant à cinq heures chez le comte, avec une contre-valeur de quarante mille francs : dès les premiers mots échangés avec Nathan, il avait pu se dire envoyé par la comtesse.

Cette réussite obligeait Félix à empêcher sa femme de voir Raoul jusqu’à l’heure du bal de l’Opéra, où il comptait la mener et l’y laisser s’éclairer elle-même sur la nature des relations de Nathan avec Florine. Il connaissait la jalouse fierté de la comtesse ; il voulait la faire renoncer d’elle-même à son amour, ne pas lui donner lieu de rougir à ses yeux, et lui montrer à temps ses lettres à Nathan vendues par Florine, à laquelle il comptait les racheter. Ce plan si sage, conçu si rapidement, exécuté en partie, devait manquer par un jeu du Hasard qui modifie tout ici-bas. Après le dîner, Félix mit la conversation sur le bal de l’Opéra, en remarquant que Marie n’y était jamais allé ; et il lui en proposa le divertissement pour le lendemain.

— Je vous donnerai quelqu’un à intriguer, dit-il.

— Ah ! vous me ferez bien plaisir.

— Pour que la plaisanterie soit excellente, une femme doit s’attaquer à une belle proie, à une célébrité, à un homme d’esprit et le faire donner au diable. Veux-tu que je te livre Nathan ? J’aurai, par quelqu’un qui connaît Florine, des secrets à le rendre fou.

— Florine, dit la comtesse, l’actrice ?

Marie avait déjà trouvé ce nom sur les lèvres de Quillet, le garçon de bureau du journal : il lui passa comme un éclair dans l’âme.

— Eh ! bien, oui, sa maîtresse, répondit le comte. Est-ce donc étonnant ?

— Je croyais monsieur Nathan trop occupé pour avoir une maîtresse. Les auteurs ont-ils le temps d’aimer ?

— Je ne dis pas qu’ils aiment, ma chère ; mais ils sont forcés de loger quelque part, comme tous les autres hommes ; et quand ils n’ont pas de chez soi, quand ils sont poursuivis par les gardes du commerce, ils logent chez leurs maîtresses, ce qui peut vous paraître leste, mais ce qui est infiniment plus agréable que de loger en prison.

Le feu était moins rouge que les joues de la comtesse.