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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/309

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— Veux-tu les céder en échange de ceci ? dit Vandenesse en tendant à Florine la lettre de change de quarante mille francs.

— Est-il bête de souscrire de pareils titres ?… Bon pour des billets, dit Florine en lisant la lettre de change. Ah ! je t’en donnerai, des comtesses ! Et moi qui me tuais le corps et l’âme en province pour lui ramasser de l’argent, moi qui me serais donné la scie d’un agent de change pour le sauver ! Voilà les hommes : quand on se damne pour eux, ils vous marchent dessus ! Il me le paiera.

Madame de Vandenesse s’était enfuie avec les lettres.

— Hé ! dis donc, beau masque ? laisse-m’en une seule pour le convaincre.

— Cela n’est plus possible, dit Vandenesse.

— Et pourquoi ?

— Ce masque est ton ex-rivale.

— Tiens, mais elle aurait bien pu me dire merci, s’écria Florine.

— Pourquoi prends-tu donc les quarante mille francs ? dit Vandenesse en la saluant.

Il est extrêmement rare que les jeunes gens, poussés à un suicide, le recommencent quand ils en ont subi les douleurs. Lorsque le suicide ne guérit pas de la vie, il guérit de la mort volontaire. Aussi Raoul n’eut-il plus envie de se tuer quand il se vit dans une position encore plus horrible que celle d’où il voulait sortir, en trouvant sa lettre de change à Schmuke dans les mains de Florine, qui la tenait évidemment du comte de Vandenesse. Il tenta de revoir la comtesse pour lui expliquer la nature de son amour, qui brillait dans son cœur plus vivement que jamais. Mais la première fois que, dans le monde, la comtesse vit Raoul, elle lui jeta ce regard fixe et méprisant qui met un abîme infranchissable entre une femme et un homme. Malgré son assurance, Nathan n’osa jamais, durant le reste de l’hiver, ni parler à la comtesse, ni l’aborder.

Cependant il s’ouvrit à Blondet : il voulut, à propos de madame de Vandenesse, lui parler de Laure et de Béatrix. Il fit la paraphrase de ce beau passage dû à la plume de Théophile Gautier, un des plus remarquables poètes de ce temps :

« Idéal, fleur bleue à cœur d’or, dont les racines fibreuses, mille fois plus déliées que les tresses de soie des fées, plongent au fond de notre âme pour en boire la plus pure substance ; fleur douce et amère ! on ne peut t’arracher sans faire saigner le cœur, sans