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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/335

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lui retentissaient encore aux oreilles, et le souvenir prêtait tant de charmes aux gestes, aux airs de tête, au jeu des yeux, qu’il s’éprit davantage à cet examen. Pour lui, la beauté de la vicomtesse reluisait encore dans les ténèbres, les impressions qu’il en avait reçues se réveillaient attirées l’une par l’autre, pour de nouveau le séduire en lui révélant des grâces de femme et d’esprit inaperçues d’abord. Il tomba dans une de ces méditations vagabondes pendant lesquelles les pensées les plus lucides se combattent, se brisent les unes contre les autres, et jettent l’âme dans un court accès de folie. Il faut être jeune pour révéler et pour comprendre les secrets de ces sortes de dithyrambes, où le cœur, assailli par les idées les plus justes et les plus folles, cède à la dernière qui le frappe, à une pensée d’espérance ou de désespoir, au gré d’une puissance inconnue. À l’âge de vingt-trois ans, l’homme est presque toujours dominé par un sentiment de modestie : les timidités, les troubles de la jeune fille l’agitent, il a peur de mal exprimer son amour, il ne voit que des difficultés et s’en effraie, il tremble de ne pas plaire, il serait hardi s’il n’aimait pas tant ; plus il sent le prix du bonheur, moins il croit que sa maîtresse puisse le lui facilement accorder ; d’ailleurs, peut-être se livre-t-il trop entièrement à son plaisir, et craint-il de n’en point donner ; lorsque, par malheur, son idole est imposante, il l’adore en secret et de loin ; s’il n’est pas deviné, son amour expire. Souvent cette passion hâtive, morte dans un jeune cœur, y reste brillante d’illusions. Quel homme n’a pas plusieurs de ces vierges souvenirs qui, plus tard, se réveillent, toujours plus gracieux, et apportent l’image d’un bonheur parfait ? souvenirs semblables à ces enfants perdus à la fleur de l’âge, et dont les parents n’ont connu que les sourires. Monsieur de Nueil revint donc de Courcelles, en proie à un sentiment gros de résolutions extrêmes. Madame de Beauséant était déjà devenue pour lui la condition de son existence : il aimait mieux mourir que de vivre sans elle. Encore assez jeune pour ressentir ces cruelles fascinations que la femme parfaite exerce sur les âmes neuves et passionnées, il dut passer une de ces nuits orageuses pendant lesquelles les jeunes gens vont du bonheur au suicide, du suicide au bonheur, dévorent toute une vie heureuse et s’endorment impuissants. Nuits fatales, où le plus grand malheur qui puisse arriver est de se réveiller philosophe. Trop véritablement amoureux pour dormir, monsieur de Nueil se leva, se mit à écrire des lettres dont aucune ne le satisfit, et les brûla toutes.