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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/365

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l’émotion cachée la toucha vivement, parce que le sort pauvre d’abord de Jameray Duval, parvenu sans secours, est le sort que je t’ai fait à toi et à ton frère. Bientôt, mon cher enfant, vous serez seuls sur la terre, sans appui, sans protections. Je vous y laisserai petits encore, et je voudrais cependant te voir assez fort, assez instruit pour servir de guide à Marie. Et je n’en aurai pas le temps. Je vous aime trop pour ne pas être bien malheureuse par ces pensées. Chers enfants, pourvu que vous ne me maudissiez pas un jour…

— Et pourquoi vous maudirais-je un jour, ma mère ?

— Un jour, pauvre petit, dit-elle en le baisant au front, tu reconnaîtras que j’ai eu des torts envers vous. Je vous abandonnerai, ici, sans fortune, sans… Elle hésita. — Sans un père, reprit-elle.

À ce mot, elle fondit en larmes, repoussa doucement son fils qui, par une sorte d’intuition, devina que sa mère voulait être seule, et il emmena Marie à moitié endormi. Puis, une heure après, quand son frère fut couché, Louis revint à pas discrets vers le pavillon où était sa mère. Il entendit alors ces mots prononcés par une voix délicieuse à son cœur : — Viens, Louis ?

L’enfant se jeta dans les bras de sa mère, et ils s’embrassèrent presque convulsivement.

— Ma chérie, dit-il enfin, car il lui donnait souvent ce nom trouvant même les mots de l’amour trop faibles pour exprimer ses sentiments ; ma chérie, pourquoi crains-tu donc de mourir ?

— Je suis malade, pauvre ange aimé, chaque jour mes forces se perdent, et mon mal est sans remède : je le sais.

— Quel est donc votre mal ?

— Je dois l’oublier ; et toi, tu ne dois jamais savoir la cause de ma mort.

L’enfant resta silencieux pendant un moment, jetant à la dérobée des regards sur sa mère, qui, les yeux levés au ciel, en contemplait les nuages. Moment de douce mélancolie ! Louis ne croyait pas à la mort prochaine de sa mère, mais il en ressentait les chagrins sans les deviner. Il respecta cette longue rêverie. Moins jeune, il aurait lu sur ce visage sublime quelques pensées de repentir mêlées à des souvenirs heureux, toute une vie de femme : une enfance insouciante, un mariage froid, une passion terrible, des fleurs nées dans un orage, abîmées par la foudre, dans un gouffre d’où rien ne saurait revenir.