Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tesse ! ah ! quelle vive et brusque opposition ne faisait-elle pas auprès de son mari ! C’était une petite femme à taille plate et gracieuse, ayant une tournure ravissante ; mignonne et si délicate, que vous eussiez eu peur de lui briser les os en la touchant. Elle portait une robe de mousseline blanche ; elle avait sur la tête un joli bonnet à rubans roses, une ceinture rose, une guimpe remplie si délicieusement par ses épaules et par les plus beaux contours, qu’en les voyant il naissait au fond du cœur une irrésistible envie de les posséder. Ses yeux étaient vifs, noirs, expressifs, ses mouvements doux, son pied charmant. Un vieil homme à bonnes fortunes ne lui eût pas donné plus de trente années, tant il y avait de jeunesse dans son front et dans les détails les plus fragiles de sa tête. Quant au caractère, elle me parut tenir tout à la fois de la comtesse de Lignolles et de la marquise de B…, deux types de femme toujours frais dans la mémoire d’un jeune homme, quand il a lu le roman de Louvet. Je pénétrai soudain dans tous les secrets de ce ménage, et pris une résolution diplomatique digne d’un vieil ambassadeur. Ce fut peut-être la seule fois de ma vie que j’eus du tact et que je compris en quoi consistait l’adresse des courtisans ou des gens du monde.

Depuis ces jours d’insouciance, j’ai eu trop de batailles à livrer pour distiller les moindres actes de la vie et ne rien faire qu’en accomplissant les cadences de l’étiquette et du bon ton qui sèchent les émotions les plus généreuses.

— Monsieur le comte, je voudrais vous parler en particulier, dis-je d’un air mystérieux et en faisant quelques pas en arrière.

Il me suit. Juliette nous laissa seuls, et s’éloigna négligemment en femme certaine d’apprendre les secrets de son mari au moment où elle voudra les savoir. Je racontai brièvement au comte la mort de mon compagnon de voyage. L’effet que cette nouvelle produisit sur lui me prouva qu’il portait une affection assez vive à son jeune collaborateur, et cette découverte me donna la hardiesse de répondre ainsi dans le dialogue qui s’ensuivit entre nous deux.

— Ma femme va être au désespoir, s’écria-t-il, et je serai obligé de prendre bien des précautions pour l’instruire de ce malheureux événement.

— Monsieur, en m’adressant d’abord à vous, lui dis-je, j’ai rempli un devoir. Je ne voulais pas m’acquitter de cette mission donnée par un inconnu près de madame la comtesse sans vous en prévenir ; mais il m’a confié une espèce de fidéicommis honorable, un secret