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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/428

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qu’à tenter d’allumer ma curiosité, d’éveiller l’amour dans mon cœur afin de me dominer : elle échoua. Quand je pris congé d’elle, je surpris dans ses yeux une expression de haine et de fureur qui me fit trembler. Nous nous séparâmes ennemis. Elle aurait voulu pouvoir m’anéantir, et moi je me sentais de la pitié pour elle, sentiment qui, pour certains caractères, équivaut à la plus cruelle injure. Ce sentiment perça dans les dernières considérations que je lui présentai. Je lui laissai, je crois, une profonde terreur dans l’âme en lui déclarant que, de quelque manière qu’elle pût s’y prendre, elle serait nécessairement ruinée. — Si je voyais monsieur le comte, au moins le bien de vos enfants… — Je serais à votre merci, dit-elle en m’interrompant par un geste de dégoût. Une fois les questions posées entre nous d’une manière si franche, je résolus de sauver cette famille de la misère qui l’attendait. Déterminé à commettre des illégalités judiciaires, si elles étaient nécessaires pour parvenir à mon but, voici quels furent mes préparatifs. Je fis poursuivre monsieur le comte de Restaud pour une somme due fictivement à Gobseck et j’obtins des condamnations. La comtesse cacha nécessairement cette procédure, mais j’acquérais ainsi le droit de faire apposer les scellés à la mort du comte. Je corrompis alors un des gens de la maison, et j’obtins de lui la promesse qu’au moment même où son maître serait sur le point d’expirer, il viendrait me prévenir, fût-ce au milieu de la nuit, afin que je pusse intervenir tout à coup, effrayer la comtesse en la menaçant d’une subite apposition de scellés, et sauver ainsi les contre-lettres. J’appris plus tard que cette femme étudiait le code en entendant les plaintes de son mari mourant. Quels effroyables tableaux ne présenteraient pas les âmes de ceux qui environnent les lits funèbres, si l’on pouvait en peindre les idées ? Et toujours la fortune est le mobile des intrigues qui s’élaborent, des plans qui se forment, des trames qui s’ourdissent ! Laissons maintenant de côté ces détails assez fastidieux de leur nature, mais qui ont pu vous permettre de deviner les douleurs de cette femme, celles de son mari, et qui vous dévoilent les secrets de quelques intérieurs semblables à celui-ci. Depuis deux mois le comte de Restaud, résigné à son sort, demeurait couché, seul, dans sa chambre. Une maladie mortelle avait lentement affaibli son corps et son esprit. En proie à ces fantaisies de malade dont la bizarrerie semble inexplicable, il s’opposait à ce qu’on appropriât son appar-