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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/433

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mourant avait sans doute caché la contre-lettre sous son oreiller, comme pour la préserver de toute atteinte jusqu’à sa mort. La comtesse avait deviné la pensée de son mari, qui d’ailleurs semblait être écrite dans le dernier geste, dans la convulsion des doigts crochus. L’oreiller avait été jeté en bas du lit, le pied de la comtesse y était encore imprimé ; à ses pieds, devant elle, je vis un papier cacheté en plusieurs endroits aux armes du comte, je le ramassai vivement et j’y lus une suscription indiquant que le contenu devait m’être remis. Je regardai fixement la comtesse avec la perspicace sévérité d’un juge qui interroge un coupable. La flamme du foyer dévorait les papiers. En nous entendant venir, la comtesse les y avait lancés en croyant, à la lecture des premières dispositions que j’avais provoquées en faveur de ses enfants, anéantir un testament qui les privait de leur fortune. Une conscience bourrelée et l’effroi involontaire inspiré par un crime à ceux qui le commettent lui avaient ôté l’usage de la réflexion. En se voyant surprise, elle voyait peut-être l’échafaud et sentait le fer rouge du bourreau. Cette femme attendait nos premiers mots en haletant, et nous regardait avec des yeux hagards. — Ah ! madame, dis-je en retirant de la cheminée un fragment que le feu n’avait pas atteint, vous avez ruiné vos enfants ! ces papiers étaient leurs titres de propriété. Sa bouche se remua, comme si elle allait avoir une attaque de paralysie. — Hé ! hé ! s’écria Gobseck dont l’exclamation nous fit l’effet du grincement produit par un flambeau de cuivre quand on le pousse sur un marbre. Après une pause, le vieillard me dit d’un ton calme : — Voudriez-vous donc faire croire à madame la comtesse que je ne suis pas le légitime propriétaire des biens que m’a vendus monsieur le comte ? Cette maison m’appartient depuis un moment. Un coup de massue appliqué soudain sur ma tête m’aurait moins causé de douleur et de surprise. La comtesse remarqua le regard indécis que je jetai sur l’usurier. — Monsieur, monsieur ! lui dit-elle sans trouver d’autres paroles. — Vous avez un fidéi-commis ? lui demandai-je. — Possible. — Abuseriez-vous donc du crime commis par madame ? — Juste. Je sortis, laissant la comtesse assise auprès du lit de son mari et pleurant à chaudes larmes. Gobseck me suivit. Quand nous nous trouvâmes dans la rue, je me séparai de lui, mais il vint à moi, me lança un de ces regards profonds par lesquels il sonde les cœurs, et me dit de sa voix flûtée qui prit des tons aigus : — Tu