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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/449

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— Guéri de mon rhume et de l’amour pur, absolu, divin, je me laissai aller à une aventure dont l’héroïne était charmante, et d’un genre de beauté tout opposé à celui de mon ange trompeur. Je me gardai bien de rompre avec cette femme si forte et si bonne comédienne, car je ne sais pas si le véritable amour donne d’aussi gracieuses jouissances qu’en prodigue une si savante tromperie. Une pareille hypocrisie vaut la vertu (je ne dis pas cela pour vous autres Anglaises, milady, s’écria doucement le ministre, en s’adressant à lady Barimore, fille de lord Dudley). Enfin, je tâchai d’être le même amoureux. J’eus à faire travailler, pour mon nouvel ange, quelques mèches de mes cheveux, et j’allai chez un habile artiste qui, dans ce temps, demeurait rue Boucher. Cet homme avait le monopole des présents capillaires, et je donne son adresse pour ceux qui n’ont pas beaucoup de cheveux : il en a de tous les genres et de toutes les couleurs. Après s’être fait expliquer ma commande, il me montra ses ouvrages. Je vis alors des œuvres de patience qui surpassent ce que les contes attribuent aux fées et ce que font les forçats. Il me mit au courant des caprices et des modes qui régissaient la partie des cheveux. — Depuis un an, me dit-il, on a eu la fureur de marquer le linge en cheveux ; et, heureusement, j’avais de belles collections de cheveux et d’excellentes ouvrières. En entendant ces mots, je suis atteint par un soupçon, je tire mon mouchoir, et lui dis : — En sorte que ceci s’est fait chez vous, avec de faux cheveux ? Il regarda mon mouchoir, et dit : — Oh ! cette dame était bien difficile, elle a voulu vérifier la nuance de ses cheveux. Ma femme a marqué ces mouchoirs-là elle-même. Vous avez là, monsieur, une des plus belles choses qui se soient exécutées. Avant ce dernier trait de lumière, j’aurais cru à quelque chose, j’aurais fait attention à la parole d’une femme. Je sortis ayant foi dans le plaisir, mais, en fait d’amour, je devins athée comme un mathématicien. Deux mois après, j’étais assis auprès de la femme éthérée, dans son boudoir, sur son divan. Je tenais l’une de ses mains, elle les avait fort belles, et nous gravissions les Alpes du sentiment, cueillant les plus jolies fleurs, effeuillant des marguerites (il y a toujours un moment où l’on effeuille des marguerites, même quand on est dans un salon et qu’on n’a pas de marguerites)… Au plus fort de la tendresse, et quand on s’aime le mieux, l’amour a si bien la conscience de son peu de durée, qu’on éprouve un invincible besoin