Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II.
à mademoiselle O. d’Este-M.


« Mademoiselle,

» L’admiration pour les belles œuvres, à supposer que les miennes soient telles, comporte je ne sais quoi de saint et de candide qui défend contre toute raillerie et justifie à tout tribunal la démarche que vous avez faite en m’écrivant. Avant tout, je dois vous remercier du plaisir que causent toujours de semblables témoignages, même quand on ne les mérite pas ; car le faiseur de vers et le poëte s’en croient intimement dignes, tant l’amour-propre est une substance peu réfractaire à l’éloge. La meilleure preuve d’amitié que je puisse donner à une inconnue, en échange de ce dictame qui guérirait les morsures de la critique, n’est-ce pas de partager avec elle la moisson de mon expérience, au risque de faire envoler vos vivantes illusions.

» Mademoiselle, la plus belle palme d’une jeune fille est la fleur d’une vie sainte, pure, irréprochable. Êtes-vous seule au monde ? Tout est dit. Mais si vous avez une famille, un père ou une mère, songez à tous les chagrins qui peuvent suivre une lettre comme la vôtre, adressée à un poëte que vous ne connaissez pas personnellement. Tous les écrivains ne sont pas des anges, ils ont des défauts. Il en est de légers, d’étourdis, de fats, d’ambitieux, de débauchés ; et, quelque imposante que soit l’innocence, quelque chevaleresque que soit le poëte français, à Paris vous pourriez rencontrer plus d’un ménestrel dégénéré, prêt à cultiver votre affection pour la tromper. Votre lettre serait alors interprétée autrement que je ne l’ai fait. On y verrait une pensée que vous n’y avez pas mise, et que, dans votre innocence, vous ne soupçonnez point. Autant d’auteurs, autant de caractères. Je suis excessivement flatté que vous m’ayez jugé digne de vous comprendre ; mais si vous étiez tombée sur un talent hypocrite, sur un railleur dont les livres sont mélancoliques et dont la vie est un carnaval continuel, vous auriez pu trouver au dénoûment de votre sublime imprudence un méchant homme, quelque habitué des