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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/197

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race que les femmes achètent à des prix fous, vous vous êtes attiré plus de dénoûments que de premiers chapitres. Et néanmoins je me suis écriée : « Allons ! » parce que j’ai plus étudié que vous ne le croyez la géographie de ces grands sommets de l’Humanité taxés par vous de froideur. Ne m’avez-vous pas dit de Byron et de Gœthe qu’ils étaient deux colosses d’égoïsme et de poésie ? Hé ! mon ami, vous avez partagé là l’erreur dans laquelle tombent les gens superficiels ; mais peut-être était-ce chez vous générosité, fausse modestie, ou désir de m’échapper ? Permis au vulgaire, et non à vous, de prendre les effets du travail pour un développement de la personnalité. Ni lord Byron, ni Gœthe, ni Walter Scott, ni Cuvier, ni l’inventeur, ne s’appartiennent, ils sont les esclaves de leur idée ; et cette puissance mystérieuse est plus jalouse qu’une femme, elle les absorbe, elle les fait vivre et les tue à son profit. Les développements visibles de cette existence cachée ressemblent en résultat à l’égoïsme ; mais comment oser dire que l’homme qui s’est vendu au plaisir, à l’instruction ou à la grandeur de son époque, est égoïste ? Une mère est-elle atteinte de personnalité quand elle immole tout à son enfant ?… Eh bien ! les détracteurs du génie ne voient pas sa féconde maternité ! voilà tout. La vie du poëte est un si continuel sacrifice qu’il lui faut une organisation gigantesque pour pouvoir se livrer aux plaisirs d’une vie ordinaire ; aussi, dans quels malheurs ne tombe-t-il pas, quand, à l’exemple de Molière, il veut vivre de la vie des sentiments, tout en les exprimant dans leurs plus poignantes crises ; car, pour moi, superposé à sa vie privée, le comique de Molière est horrible. Pour moi, la générosité du génie est quasi divine, et je vous ai placé dans cette noble famille de prétendus égoïstes. Ah ! si j’avais trouvé la sécheresse, le calcul, l’ambition, là où j’admire toutes mes fleurs d’âme les plus aimées, vous ne savez pas de quelle longue douleur j’eusse été atteinte ! J’ai déjà rencontré le mécompte assis à la porte de mes seize ans ! Que serais-je devenue en apprenant à vingt ans que la gloire est menteuse, en voyant celui qui, dans ses œuvres, avait exprimé tant de sentiments cachés dans mon cœur, ne pas comprendre ce cœur quand il se dévoilait pour lui seul ? Ô mon ami, savez-vous ce qui serait advenu de moi ? vous allez pénétrer dans l’arrière de mon âme. Eh bien ! j’aurais dit à mon père : « Amenez-moi le gendre qui sera de votre goût, j’abdique toute volonté, mariez-moi pour