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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/232

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la lettre pour monsieur votre père, dit-il en tendant la main, je l’enverrai chez Mongenod, pourvu que nous ne nous croisions pas en route, mon colonel et moi !…

Modeste donna la lettre. Le petit Dumay, qui lisait sans lunettes, regarda machinalement l’adresse.

— Monsieur le baron de Canalis, rue de Paradis-Poissonnière, n° 29 !… s’écria Dumay. Qu’est ce que cela veut dire ?…

— Ah ! ma fille, voilà l’homme que tu aimes ! s’écria madame Mignon, les stances sur lesquelles tu as fait ta musique sont de lui…

— Et c’est son portrait que vous avez là-haut, encadré ? dit Dumay.

— Rendez-moi cette lettre, monsieur Dumay ?… dit Modeste qui se dressa comme une lionne défendant ses petits.

— La voici, mademoiselle, répondit le lieutenant.

Modeste remit la lettre dans son corset et tendit à Dumay celle destinée à son père.

— Je sais ce dont vous êtes capable, Dumay, dit-elle ; mais si vous faites un seul pas vers monsieur Canalis, j’en fais un dehors la maison, où je ne reviendrai jamais !

— Vous allez tuer votre mère, mademoiselle, répondit Dumay qui sortit et appela sa femme.

La pauvre mère s’était évanouie, atteinte au cœur par la fatale phrase de Modeste.

— Adieu, ma femme, dit le Breton en embrassant la petite Américaine, sauve la mère, je vais aller sauver la fille.

Il laissa Modeste et madame Dumay près de madame Mignon ; fit ses préparatifs de départ en quelques instants et descendit au Havre. Une heure après, il voyageait en poste avec cette rapidité que la passion ou la spéculation impriment seules aux roues.

Bientôt rappelée à la vie par les soins de Modeste, madame Mignon remonta chez elle sur le bras de sa fille, à qui, pour tout reproche, elle dit quand elles furent seules : ─ Malheureuse enfant, qu’as-tu fait ? pourquoi te cacher de moi ? Suis-je donc si sévère ?…

— Eh ! j’allais tout te dire naturellement, répondit la jeune fille en pleurs.

Elle raconta tout à sa mère, elle lui lut les lettres et les réponses, elle effeuilla dans le cœur de la bonne Allemande, pétale à pétale, la rose de son poëme, elle y passa la moitié de la journée. Quand