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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/284

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sieur le Référendaire, dit-elle en montrant La Brière, qui sont intéressés à la solution de ce problème social, le soutiennent, je le conçois ; mais vous, dont la vie a été la poésie la plus inutile de ce siècle, puisque votre sang répandu sur l’Europe, et vos énormes souffrances exigées par un colosse, n’ont pas empêché la France de perdre dix départements acquis par la République, comment donnez-vous dans ce raisonnement excessivement perruque, comme disent les romantiques ?… On voit bien que vous revenez de la Chine.

L’irrévérence des paroles de Modeste fut aggravée par un petit ton méprisant et dédaigneux qu’elle prit à dessein et dont s’étonnèrent également madame Latournelle, madame Mignon et Dumay. Madame Latournelle n’y voyait pas clair tout en ouvrant les yeux. Butscha, dont l’attention était comparable à celle d’un espion, regarda d’une manière significative monsieur Mignon en lui voyant le visage coloré par une vive et soudaine indignation.

— Encore un peu, mademoiselle, et vous alliez manquer de respect à votre père, dit en souriant le colonel éclairé par le regard de Butscha. Voilà ce que c’est que de gâter ses enfants.

— Je suis fille unique !… répondit-elle insolemment.

— Unique ! répéta le notaire en accentuant ce mot.

— Monsieur, répondit sèchement Modeste à Latournelle, mon père est très heureux que je me fasse son précepteur ; il m’a donné la vie, je lui donne le savoir, il me redevra quelque chose.

— Il y a manière, et surtout l’occasion, dit madame Mignon.

— Mais mademoiselle a raison, reprit Canalis en se levant et se posant à la cheminée dans l’une des plus belles attitudes de sa collection de mines. Dieu, dans sa prévoyance, a donné des aliments et des vêtements à l’homme, et il ne lui a pas directement donné l’art ! Il a dit à l’homme : ─ « Pour vivre, tu te courberas vers la terre ; pour penser, tu t’élèveras vers moi ! » Nous avons autant besoin de la vie de l’âme que de celle du corps. De là, deux utilités. Ainsi, bien certainement on ne se chausse pas d’un livre. Un chant d’épopée ne vaut pas, au point de vue utilitaire, une soupe économique du bureau de bienfaisance. La plus belle idée remplacerait difficilement la voile d’un vaisseau. Certes, une marmite autoclave, en se soulevant de deux pouces sur elle-même, nous procure le calicot à cinq sous le mètre meilleur marché ; mais cette machine et les perfections de l’industrie ne soufflent pas la vie à un