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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/394

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intimité ; mais elle retrouvait si bien en moi sa propre antipathie contre l’amour qu’elle me parut heureuse du hasard qui lui avait envoyé dans son île déserte une espèce de Vendredi. Peut-être la solitude commençait-elle à lui peser. Néanmoins elle était sans la moindre coquetterie, elle n’avait plus rien de la femme, elle ne se sentait un cœur, me disait-elle, que dans le monde idéal où elle se réfugiait. Involontairement je comparais entre elle ces deux existences, celle du comte, tout action, tout agitation, tout émotion ; celle de la comtesse, tout passivité, tout inactivité, tout immobilité. La femme et l’homme obéissaient admirablement à leur nature. Ma misanthropie autorisait contre les hommes et contre les femmes de cyniques sorties que je me permettais en espérant amener Honorine sur le terrain des aveux ; mais elle ne se laissait prendre à aucun piège et je commençais à comprendre cet entêtement de mule, plus commun qu’on ne le pense chez les femmes. — « Les Orientaux ont raison, lui dis-je un soir, de vous renfermer en ne vous considérant que comme les instruments de leurs plaisirs. L’Europe est bien punie de vous avoir admises à faire partie du monde et de vous y accepter sur un pied d’égalité. Selon moi la femme est l’être le plus improbe et le plus lâche qui puisse se rencontrer. Et c’est là d’ailleurs d’où lui viennent ses charmes : le beau plaisir de chasser un animal domestique ! Quand une femme a inspiré une passion à un homme, elle lui est toujours sacrée, elle est, à ses yeux, revêtue d’un privilége imprescriptible. Chez l’homme, la reconnaissance pour les plaisirs passés est éternelle. S’il retrouve sa maîtresse ou vieille ou indigne de lui, cette femme a toujours des droits sur son cœur ; mais, pour vous autres, un homme que vous avez aimé n’est plus rien ; bien plus il a un tort impardonnable, celui de vivre !… Vous n’osez pas l’avouer ; mais vous avez toutes au cœur la pensée que les calomnies populaires appelées tradition prêtent à la dame de la tour de Nesle : Quel dommage qu’on ne puisse se nourrir d’amour comme on se nourrit de fruits ! et que d’un repas fait, il ne puisse pas ne vous rester que le sentiment du plaisir !… — Dieu, dit-elle, a sans doute réservé ce bonheur parfait pour le paradis. Mais, reprit-elle, si votre argumentation vous semble très spirituelle, elle a pour moi le malheur d’être fausse. Qu’est-ce que c’est que des femmes qui s’adonnent à plusieurs amours ? me demanda-t-elle en me regardant comme la Vierge d’Ingres regarde Louis XIII lui offrant son