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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/412

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veux devoir votre retour ni aux terreurs que vous imprimerait l’Église, ni aux ordres de la loi. Je ne veux recevoir que de vous-même le simple et modeste bonheur que je demande. Si vous persistez à m’imposer la vie sombre et délaissée de tout sourire fraternel que je mène depuis neuf ans, si vous restez dans votre désert, seule et immobile, ma volonté fléchira devant la vôtre. Sachez-le bien : vous ne serez pas plus troublée que vous ne l’avez été jusqu’aujourd’hui. Je ferai donner congé à ce fou qui s’est mêlé de vos affaires, et qui peut-être vous a chagrinée… »

— « Monsieur, dit Honorine en quittant sa lettre, qu’elle mit dans son corsage, et regardant mon oncle, je vous remercie, je profiterai de la permission que me donne monsieur le comte de rester ici… — Ah ! » m’écriai-je. Cette exclamation me valut de mon oncle un regard inquiet, et de la comtesse une œillade malicieuse qui m’éclaira sur ses motifs. Honorine avait voulu savoir si j’étais un comédien, un oiseleur, et j’eus la triste satisfaction de l’abuser par mon exclamation, qui fut un de ces cris du cœur auxquelles les femmes se connaissent si bien. — « Ah ! Maurice, me dit-elle, vous savez aimer, vous ! » L’éclair qui brilla dans mes yeux était une autre réponse qui eût dissipé l’inquiétude de la comtesse si elle en avait conservé. Ainsi le comte se servait de moi jusqu’au dernier moment. Honorine reprit alors la lettre du comte pour la finir. Mon oncle me fit un signe, je me levai. — « Laissons madame, me dit-il. — Vous partez déjà, Maurice ? me dit-elle sans me regarder. Elle se leva, nous suivit en lisant toujours, et, sur le seuil du pavillon, elle me prit la main, me la serra très affectueusement et me dit : — Nous nous reverrons… — Non, répondis-je en lui serrant la main à la faire crier. Vous aimez votre mari ! Demain je pars. » Et je m’en allai précipitamment, laissant mon oncle à qui elle dit : — « Qu’a-t-il donc, votre neveu ? » Le pauvre abbé compléta mon ouvrage en faisant le geste de montrer sa tête et son cœur comme pour dire : « Il est fou, excusez-le, madame ! » avec d’autant plus de vérité qu’il le pensait. Six jours après, je partis avec ma nomination de vice-consul en Espagne, dans une grande ville commerçante où je pouvais en peu de temps me mettre en état de parcourir la carrière consulaire, à laquelle je bornai mon ambition. Après mon installation, je reçus cette lettre du comte.

« Mon cher Maurice, si j’étais heureux je ne vous écrirais point, mais j’ai recommencé une autre vie de douleur : je suis rede-