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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/543

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Hélas ! quand, à deux heures et demie, Oscar entra dans le salon du Rocher de Cancale où se trouvaient trois invités, outre les clercs, à savoir : un vieux capitaine de dragons, nommé Giroudeau ; Finot, journaliste qui pouvait faire débuter Florentine à l’opéra ; du Bruel, un auteur ami de Tullia, l’une des rivales de Mariette à l’Opéra, le second clerc sentit son hostilité secrète s’évanouir aux premières poignées de main, dans les premiers élans d’une causerie entre jeunes gens, devant une table de douze couverts splendidement servie. Georges fut d’ailleurs charmant pour Oscar.

— Vous suivez, lui dit-il, la diplomatie privée, car quelle différence y a-t-il entre un ambassadeur et un avoué ? uniquement celle qui sépare une nation d’un individu. Les ambassadeurs sont les avoués des peuples ! Si je puis vous être utile, venez me trouver.

— Ma foi, dit Oscar, je puis vous l’avouer aujourd’hui, vous avez été la cause d’un grand malheur pour moi…

— Bah ! fit Georges après avoir écouté le récit des tribulations du clerc ; mais c’est le comte de Sérisy qui s’est mal conduit. Sa femme ?… je n’en voudrais pas. Et le gars a beau être Ministre d’État, pair de France, je ne voudrais pas être dans sa peau rouge. C’est un petit esprit, je me moque bien de lui maintenant.

Oscar entendit avec un vrai plaisir les plaisanteries de Georges sur le comte de Sérisy, car elles diminuaient, en quelque sorte, la gravité de sa faute ; et il abonda dans le sens haineux de l’ex-clerc de notaire qui s’amusait à prédire à la Noblesse les malheurs que la Bourgeoisie rêvait alors, et que 1830 devait réaliser. À trois heures et demie, on se mit à officier. Le dessert n’apparut qu’à huit heures, chaque service exigea deux heures. Il n’y a que des clercs pour manger ainsi ! Les estomacs de dix-huit à vingt ans sont, pour la Médecine, des faits inexplicables. Les vins furent dignes de Borrel, qui remplaçait à cette époque l’illustre Balaine, le créateur du premier des restaurants parisiens pour la délicatesse et la perfection de la cuisine, c’est-à-dire du monde entier.

On rédigea le procès-verbal de ce festin de Balthazar au dessert, en commençant par : Inter pocula aurea restauranti, qui vulgo dicitur Rupes Cancali. D’après ce début, chacun peut imaginer la belle page qui fut ajoutée sur ce Livre d’Or des déjeuners basochiens.

Godeschal disparut après avoir signé, laissant les onze convives, stimulés par l’ancien capitaine de la Garde Impériale, se livrer aux