Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auriez-vous donc des secrets que je ne connusse point ? Comment pouvez-vous donc maîtriser le sort ?

— Au moment où vous confirmez le don que vous m’avez déjà fait de votre cœur, je suis trop heureux pour bien savoir ce que je vous répondrais. J’ai confiance en vous, Antoinette, je n’aurai ni soupçons, ni fausses jalousies. Mais, si le hasard vous rendait libre, nous sommes unis…

— Le hasard, Armand, dit-elle en faisant un de ces jolis gestes de tête qui semblent pleins de choses et que ces sortes de femmes jettent à la légère, comme une cantatrice joue avec sa voix. Le pur hasard, reprit-elle. Sachez-le bien : s’il arrivait, par votre faute, quelque malheur à monsieur de Langeais, je ne serais jamais à vous.

Ils se séparèrent contents l’un et l’autre. La duchesse avait fait un pacte qui lui permettait de prouver au monde, par ses paroles et ses actions, que monsieur de Montriveau n’était point son amant. Quant à lui, la rusée se promettait bien de le lasser en ne lui accordant d’autres faveurs que celles surprises dans ces petites luttes dont elle arrêtait le cours à son gré. Elle savait si joliment le lendemain révoquer les concessions consenties la veille, elle était si sérieusement déterminée à rester physiquement vertueuse, qu’elle ne voyait aucun danger pour elle à des préliminaires redoutables seulement aux femmes bien éprises. Enfin, une duchesse séparée de son mari offrait peu de chose à l’amour, en lui sacrifiant un mariage annulé depuis long-temps. De son côté, Montriveau, tout heureux d’obtenir la plus vague des promesses, et d’écarter à jamais les objections qu’une épouse puise dans la foi conjugale pour se refuser à l’amour, s’applaudissait d’avoir conquis encore un peu plus de terrain. Aussi, pendant quelque temps, abusa-t-il des droits d’usufruit qui lui avaient été si difficilement octroyés. Plus enfant qu’il ne l’avait jamais été, cet homme se laissait aller à tous les enfantillages qui font du premier amour la fleur de la vie. Il redevenait petit en répandant et son âme et toutes les forces trompées que lui communiquait sa passion sur les mains de cette femme, sur ses cheveux blonds dont il baisait les boucles floconneuses, sur ce front éclatant qu’il voyait pur. Inondée d’amour, vaincue par les effluves magnétiques d’un sentiment si chaud, la duchesse hésitait à faire naître la querelle qui devait les séparer à jamais. Elle était plus femme qu’elle ne le croyait, cette chétive créature, en