Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont celles d’une mère aussi confiante que prévoyante. Si tu sais quelles sont tes obligations, je sais, moi, combien ton cœur est pur, combien tes intentions sont excellentes. Aussi puis-je te dire sans crainte : Va, mon bien-aimé, marche ! Je tremble parce que je suis mère ; mais chacun de tes pas sera tendrement accompagné de nos vœux et de nos bénédictions. Sois prudent, cher enfant. Tu dois être sage comme un homme, les destinées de cinq personnes qui te sont chères reposent sur ta tête. Oui, toutes nos fortunes sont en toi, comme ton bonheur est le nôtre. Nous prions tous Dieu de te seconder dans tes entreprises. Ta tante Marcillac a été, dans cette circonstance, d’une bonté inouïe : elle allait jusqu’à concevoir ce que tu me dis de tes gants. Mais elle a un faible pour l’aîné, disait-elle gaiement. Mon Eugène, aime bien ta tante, je ne te dirai ce qu’elle a fait pour toi que quand tu auras réussi ; autrement, son argent te brûlerait les doigts. Vous ne savez pas, enfants, ce que c’est que de sacrifier des souvenirs ? Mais que ne vous sacrifierait-on pas ? Elle me charge de te dire qu’elle te baise au front, et voudrait te communiquer par ce baiser la force d’être souvent heureux. Cette bonne et excellente femme t’aurait écrit si elle n’avait pas la goutte aux doigts. Ton père va bien. La récolte de 1819 passe nos espérances. Adieu, cher enfant, je ne dirai rien de tes sœurs : Laure t’écrit. Je lui laisse le plaisir de babiller sur les petits événements de la famille. Fasse le ciel que tu réussisses ! Oh ! oui, réussis, mon Eugène, tu m’as fait connaître une douleur trop vive pour que je puisse la supporter une seconde fois. J’ai su ce que c’était que d’être pauvre, en désirant la fortune pour la donner à mon enfant. Allons, adieu. Ne nous laisse pas sans nouvelles, et prends ici le baiser que ta mère t’envoie. »

Quand Eugène eut achevé cette lettre, il était en pleurs, il pensait au père Goriot tordant son vermeil et le vendant pour aller payer la lettre de change de sa fille. « Ta mère a tordu ses bijoux ! se disait-il. Ta tante a pleuré sans doute en vendant quelques-unes de ses reliques ! De quel droit maudirais-tu Anastasie ? tu viens d’imiter pour l’égoïsme de ton avenir ce qu’elle a fait pour son amant ! Qui, d’elle ou de toi, vaut mieux ? » L’étudiant se sentit les entrailles rongées par une sensation de chaleur intolérable. Il voulait renoncer au monde, il voulait ne pas prendre cet argent. Il éprouva ces nobles et beaux remords secrets dont le mérite est ra-