Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reproche rien. De toi, la moindre parole me tuerait. D’ailleurs pourrais-tu me dire une seule chose que je ne me sois dite depuis trois heures ? Oui, depuis trois heures, je suis là, te regardant dormir, si belle, admirant ton front si pur et si paisible. Oh ! oui, tu m’as toujours dit toutes tes pensées, n’est-ce pas ? Je suis seul dans ton âme. En te contemplant, en plongeant mes yeux dans les tiens, j’y vois bien tout. Ta vie est toujours aussi pure que ton regard est clair. Non, il n’y a pas de secret derrière cet œil si transparent. Il se souleva, et la baisa sur les yeux. — Laisse moi t’avouer, ma chère créature, que depuis cinq ans ce qui grandissait chaque jour mon bonheur, c’était de ne te savoir aucune de ces affections naturelles qui prennent toujours un peu sur l’amour. Tu n’avais ni sœur, ni père, ni mère, ni compagne, et je n’étais alors ni au-dessus ni au-dessous de personne dans ton cœur : j’y étais seul. Clémence, répète-moi toutes les douceurs d’âme que tu m’as si souvent dites, ne me gronde pas, console-moi, je suis malheureux. J’ai certes un soupçon odieux à me reprocher, et toi tu n’as rien dans le cœur qui te brûle. Ma bien-aimée, dis, pouvais-je rester ainsi près de toi ? Comment deux têtes qui sont si bien unies demeureraient-elles sur le même oreiller quand l’une d’elles souffre et que l’autre est tranquille… - À quoi penses-tu donc ? s’écria-t-il brusquement en voyant Clémence songeuse, interdite, et qui ne pouvait retenir des larmes.

— Je pense à ma mère, répondit-elle d’un ton grave. Tu ne saurais connaître, Jules, la douleur de ta Clémence obligée de se souvenir des adieux mortuaires de sa mère, en entendant ta voix, la plus douce des musiques ; et de songer à la solennelle pression des mains glacées d’une mourante, en sentant la caresse des tiennes en un moment où tu m’accables des témoignages de ton délicieux amour. Elle releva son mari, le prit, l’étreignit avec une force nerveuse bien supérieure à celle d’un homme, lui baisa les cheveux et le couvrit de larmes. — Ah ! je voudrais être hachée vivante pour toi ! Dis-moi bien que je te rends heureux, que je suis pour toi la plus belle des femmes, que je suis mille femmes pour toi. Mais tu es aimé comme nul homme ne le sera jamais. Je ne sais pas ce que veulent dire les mots devoir et vertu. Jules, je t’aime pour toi, je suis heureuse de t’aimer, et je t’aimerai toujours mieux jusqu’à mon dernier souffle. J’ai quelque orgueil de mon amour, je me crois destinée à n’éprouver qu’un sentiment dans ma vie. Ce que