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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/95

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Quand la crise fut passée, madame Jules retrouva des forces. Le lendemain, elle redevint belle, tranquille ; elle causa, elle avait de l’espoir, elle se para comme se parent les malades. Puis elle voulut être seule pendant toute la journée, et renvoya son mari par une de ces prières faites avec tant d’instances, qu’elles sont exaucées comme on exauce les prières des enfants. D’ailleurs, monsieur Jules avait besoin de cette journée. Il alla chez monsieur de Maulincour, afin de réclamer de lui le duel à mort convenu naguère entre eux. Il ne parvint pas sans de grandes difficultés jusqu’à l’auteur de cette infortune ; mais, en apprenant qu’il s’agissait d’une affaire d’honneur, le vidame obéit aux préjugés qui avaient toujours gouverné sa vie, et introduisit Jules auprès du baron. Monsieur Desmarets chercha le baron de Maulincour.

— Oh ! c’est bien lui, dit le commandeur en montrant un homme assis dans un fauteuil au coin du feu.

— Qui, Jules ? dit le mourant d’une voix cassée.

Auguste avait perdu la seule qualité qui nous fasse vivre, la mémoire. À cet aspect, monsieur Desmarets recula d’horreur. Il ne pouvait reconnaître l’élégant jeune homme dans une chose sans nom en aucun langage, suivant le mot de Bossuet. C’était en effet un cadavre à cheveux blancs ; des os à peine couverts par une peau ridée, flétrie, desséchée ; des yeux blancs et sans mouvement, une bouche hideusement entr’ouverte, comme le sont celles des fous ou celles des débauchés tués par leurs excès. Aucune trace d’intelligence n’existait plus ni sur le front, ni dans aucun trait ; de même qu’il n’y avait plus, dans sa carnation molle, ni rougeur, ni apparence de circulation sanguine. Enfin, c’était un homme rapetissé, dissous, arrivé à l’état dans lequel sont ces monstres conservés au Muséum, dans les bocaux où ils flottent au milieu de l’alcool. Jules crut voir au-dessus de ce visage la terrible tête de Ferragus, et cette complète Vengeance épouvanta la Haine. Le mari se trouva de la pitié dans le cœur pour le douteux débris de ce qui avait été naguère un jeune homme.

— Le duel a eu lieu, dit le commandeur.

— Monsieur a tué bien du monde, s’écria douloureusement Jules.

— Et des personnes bien chères, ajouta le vieillard. Sa grand’mère meurt de chagrin, et je la suivrai peut-être dans la tombe.

Le lendemain de cette visite, madame Jules empira d’heure en