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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/186

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quête donne à penser que cette amitié dépasse en dévouement tous les sentiments, même ceux que la morale réprouve…

Une rougeur subite colora le visage et le front du marquis, il lui vint même des larmes aux yeux, ses cils furent humectés ; puis un juste orgueil réprima cette sensibilité qui, chez un homme, passe pour de la faiblesse.

— En vérité, monsieur, répondit le marquis d’une voix altérée, vous me jetez dans une étrange perplexité. Les motifs de ma conduite étaient condamnés à mourir avec moi….. Pour en parler, je dois vous découvrir des plaies secrètes, vous livrer l’honneur de ma famille, et, chose délicate que vous apprécierez, parler de moi. J’espère, monsieur, que tout sera secret entre nous. Vous saurez trouver dans les formes judiciaires un mode qui permette de rédiger un jugement sans qu’il y soit question de mes révélations….

— Sous ce rapport, tout est possible, monsieur le marquis.

— Monsieur, dit monsieur d’Espard, quelque temps après mon mariage, ma femme avait fait de si grandes dépenses, que je fus obligé d’avoir recours à un emprunt. Vous savez quelle fut la situation des familles nobles pendant la Révolution ? Il ne m’avait point été permis d’avoir d’intendant ni d’homme d’affaires. Aujourd’hui les gentilshommes sont à peu près tous forcés de faire eux-mêmes leurs affaires. La plupart de mes titres de propriété avaient été rapportés du Languedoc, de la Provence ou du Comtat à Paris par mon père qui craignait, avec assez de raison, les recherches que les titres de famille, et ce qu’on nommait alors les parchemins des privilégiés, attiraient à leurs propriétaires. Nous sommes Nègrepelisse en notre nom. D’Espard est un titre acquis sous Henri IV par une alliance qui nous a donné les biens et les titres de la maison d’Espard, à la condition de mettre en abîme sur nos armes l’écusson des d’Espard, vieille famille du Béarn, alliée à la maison d’Albret par les femmes : d’or, à trois pals de sable, écartelé d’azur à deux pates de griffon d’argent onglées de gueules posées en sautoir, avec le fameux : Des partem leonis pour devise. Aux jours de cette alliance, nous perdîmes Nègrepelisse, petite ville aussi célèbre dans les guerres de religion, que le fut alors celui de mes ancêtres qui en portait le nom. Le capitaine de Nègrepelisse fut ruiné par l’incendie de ses biens, car les protestants n’épargnèrent pas un ami de Montluc. La Couronne fut injuste envers monsieur de Nègrepelisse, il n’eut ni le bâton de maréchal, ni gouvernement, ni in-