Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Grozier, qu’à ma recommandation Charles X nomma son bibliothécaire à la bibliothèque de l’Arsenal, qui lui fut rendue quand il était Monsieur. L’abbé Grozier possédait des connaissances profondes sur la Chine, sur ses mœurs et ses coutumes ; il m’avait fait son héritier à un âge où il est difficile qu’on ne se fanatise pas pour ce que l’on apprend. À vingt-cinq ans je savais le chinois, et j’avoue que je n’ai jamais pu me défendre d’une admiration exclusive pour ce peuple, qui a conquis ses conquérants, dont les annales remontent incontestablement à une époque beaucoup plus reculée que ne le sont les temps mythologiques ou bibliques ; qui, par ses institutions immuables, a conservé l’intégrité de son territoire, dont les monuments sont gigantesques, dont l’administration est parfaite, chez lequel les révolutions sont impossibles, qui a jugé le beau idéal comme un principe d’art infécond, qui a poussé le luxe et l’industrie à un si haut degré que nous ne pouvons le surpasser en aucun point, tandis qu’il nous égale là où nous nous croyons supérieurs. Mais, monsieur, s’il m’arrive souvent de plaisanter en comparant à la Chine la situation des états européens, je ne suis pas Chinois, je suis un gentilhomme français. Si vous aviez des doutes sur la finance de cette entreprise, je puis vous prouver que nous comptons deux mille cinq cents souscripteurs à ce monument littéraire, iconographique, statistique et religieux, dont l’importance a été généralement appréciée, nos souscripteurs appartiennent à toutes les nations de l’Europe, nous n’en avons que douze cents en France. Notre ouvrage coûtera environ trois cents francs, et le comte de Nouvion y trouvera six à sept mille livres de rente pour sa part, car son bien-être fut le secret motif de cette entreprise. Pour mon compte, je n’ai en vue que la possibilité de donner à mes enfants quelques douceurs. Les cent mille francs que j’ai gagnés, bien malgré moi, payeront leurs leçons d’armes, leurs chevaux, leur toilette, leurs spectacles, leurs maîtres d’agrément, les toiles qu’ils barbouillent, les livres qu’ils veulent acheter, enfin toutes ces petites fantaisies que les pères ont tant de plaisir à satisfaire. S’il avait fallu refuser ces jouissances à mes pauvres enfants si méritants, si courageux dans le travail, le sacrifice que je fais à notre nom m’aurait été doublement pénible. En effet, monsieur, les douze années pendant lesquelles je me suis retiré du monde pour élever mes enfants m’ont valu l’oubli le plus complet à la cour. J’ai déserté la carrière politique, j’ai perdu toute ma fortune historique, toute une illustration