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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/244

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en apparence si peu importante ; mais très-heureux des encouragements qu’il trouvait dans le dire de César sur ses souliers ferrés, son louis d’or et l’amour.

Roguin, grand et gros homme bourgeonné, le front très-découvert, à cheveux noirs, ne manquait pas jadis de physionomie ; il avait été audacieux et jeune, car de petit-clerc il était devenu notaire ; mais, en ce moment, son visage offrait, au yeux d’un habile observateur, les tiraillements, les fatigues de plaisirs cherchés. Lorsqu’un homme se plonge dans la fange des excès, il est difficile que sa figure ne soit pas fangeuse en quelque endroit ; aussi les contours des rides, la chaleur du teint étaient-ils, chez Roguin, sans noblesse ; au lieu de cette lueur pure qui flambe sous les tissus des hommes contenus et leur imprime une fleur de santé, l’on entrevoyait chez lui l’impureté d’un sang fouetté par des efforts contre lesquels regimbe le corps. Son nez était ignoblement retroussé, comme celui des gens chez lesquels les humeurs, en prenant la route de cet organe, produisent une infirmité secrète qu’une vertueuse reine de France croyait naïvement être un malheur commun à l’espèce, n’ayant jamais approché d’autre homme que le roi d’assez prés pour reconnaître son erreur. En prisant beaucoup de tabac d’Espagne, Roguin avait cru dissimuler son incommodité, il en avait augmenté les inconvénients qui furent la principale cause de ses malheurs. N’est-ce pas une flatterie sociale un peu trop prolongée que de toujours peindre les hommes sous de fausses couleurs, et de ne pas révéler quelques-uns des vrais principes de leurs vicissitudes, si souvent causées par la maladie ? Le mal physique, considéré dans ses ravages moraux, examiné dans ses influences sur le mécanisme de la vie, a peut-être été jusqu’ici trop négligé par les historiens des mœurs. Madame César avait bien deviné le secret du ménage. Dès la première nuit de ses noces, la charmante fille unique du banquier Chevrel avait conçu pour le pauvre notaire une insurmontable antipathie, et voulut aussitôt requérir le divorce. Trop heureux d’avoir une femme riche de cinq cent mille francs sans compter les espérances, Roguin avait supplié sa femme de ne pas intenter une action en divorce, en la laissant libre et se soumettant à toutes les conséquences d’un pareil pacte. Madame Roguin, devenue souveraine maîtresse, se conduisit avec son mari comme une courtisane avec un vieil amant. Roguin trouva bientôt sa femme trop chère, et, comme beaucoup de maris