Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/253

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l’huile de Macassar se défendra ! elle est spécieuse, elle a un nom séduisant. On la présente comme une importation étrangère, et nous aurons le malheur d’être de notre pays. Voyons, Popinot, te sens-tu de force à tuer Macassar ? D’abord tu l’emporteras dans les expéditions d’outre-mer : il paraît que Macassar est réellement aux Indes, il est plus naturel alors d’envoyer le produit français aux Indiens que de leur renvoyer ce qu’ils sont censés nous fournir. À toi les pacotilleurs ! Mais il faut lutter à l’étranger, lutter dans les départements ! Or, l’huile de Macassar a été bien affichée, il ne faut pas se déguiser sa puissance, elle est poussée, le public la connaît.

— Je la coulerai, s’écria Popinot l’œil en feu.

— Avec quoi ? lui dit Birotteau. Voilà bien l’ardeur des jeunes gens. Écoute-moi donc jusqu’au bout.

Anselme se mit comme un soldat au port d’armes devant un maréchal de France.

— J’ai inventé, Popinot, une huile pour exciter la pousse des cheveux, raviver le cuir chevelu, maintenir la couleur des chevelures mâles et femelles. Cette essence n’aura pas moins de succès que ma pâte et mon eau ; mais je ne veux pas exploiter ce secret par moi-même, je pense à me retirer du commerce. C’est toi, mon enfant, qui lanceras mon huile Comagène (du mot coma, mot latin qui signifie cheveux, comme me l’a dit monsieur Alibert, médecin du roi. Ce mot se trouve dans la tragédie de Bérénice, où Racine a mis un roi de Comagène, amant de cette belle reine si célèbre par sa chevelure, lequel amant, sans doute par flatterie, a donné ce nom à son royaume ! Comme ces grands génies ont de l’esprit ! ils descendent aux plus petits détails).

Le petit Popinot garda son sérieux en écoutant cette parenthèse saugrenue, évidemment dite pour lui qui avait de l’instruction.

— Anselme, j’ai jeté les yeux sur toi pour fonder une maison de commerce de haute droguerie, rue des Lombards, dit Birotteau. Je serai ton associé secret, je te baillerai les premiers fonds. Après l’huile Comagène, nous essaierons de l’essence de vanille, de l’esprit de menthe. Enfin, nous aborderons la droguerie en la révolutionnant, en vendant ses produits concentrés au lieu de les vendre en nature. Ambitieux jeune homme, es-tu content ?

Anselme ne pouvait répondre, tant il était oppressé, mais ses yeux pleins de larmes répondaient pour lui. Cette offre lui semblait