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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/293

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nouvelle au Vaudeville : Popinot résolut de l’attendre. Confier le placement de l’huile de noisette à ce précieux metteur en œuvre des inventions marchandes, déjà choyé par les plus riches maisons, n’était-ce pas tirer une lettre de change sur la fortune. Popinot possédait Gaudissart. Le commis-voyageur, si savant dans l’art d’entortiller les gens les plus rebelles, les petits marchands de province, s’était laissé entortiller dans la première conspiration tramée contre les Bourbons après les Cent-Jours. Gaudissart, à qui le grand air était indispensable, se vit en prison sous le poids d’une accusation capitale. Le juge Popinot, chargé de l’instruction, avait mis Gaudissart hors de cause en reconnaissant que son imprudente sottise l’avait seule compromis dans cette affaire. Avec un juge désireux de plaire au pouvoir ou d’un royalisme exalté, le malheureux commis allait à l’échafaud. Gaudissart, qui croyait devoir la vie au juge d’instruction, nourrissait un profond désespoir de ne pouvoir porter à son sauveur qu’une stérile reconnaissance. Ne devant pas remercier un juge d’avoir rendu la justice, il était allé chez les Ragon se déclarer homme-lige des Popinot.

En attendant, Popinot alla naturellement revoir sa boutique de la rue des Cinq-Diamants, demander l’adresse du propriétaire, afin de traiter du bail. En errant dans le dédale obscur de la grande Halle, et pensant aux moyens d’organiser un rapide succès, Popinot saisit, rue Aubry-le-Boucher, une occasion unique et de bon augure avec laquelle il comptait régaler César le lendemain. En faction à la porte de l’hôtel du Commerce, au bout de la rue des Deux-Écus, vers minuit, Popinot entendit, dans le lointain de la rue de Grenelle, un vaudeville final chanté par Gaudissart avec accompagnement de canne significativement traînée sur les pavés.

— Monsieur, dit Anselme en débouchant de la porte et se montrant soudain, deux mots ?

— Onze, si vous voulez, dit le commis-voyageur en levant sa canne plombée sur l’agresseur.

— Je suis Popinot, dit le pauvre Anselme.

— Suffit, dit Gaudissart en le reconnaissant. Que vous faut-il ? de l’argent ? absent par congé, mais on en trouvera. Mon bras pour un duel ? tout à vous, des pieds à l’occiput. Et il chanta :

Voilà, voilà
Le vrai soldat français !