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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/322

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voulait jouir de la surprise. Ces deux anciens adversaires se rencontrèrent encore une fois, à leur insu, non sur un champ de bataille, mais sur le terrain de la vanité bourgeoise. Monsieur Grindot devait donc prendre César par la main, et lui montrer l’appartement, comme un cicerone montre une galerie à un curieux. Chacun dans la maison avait d’ailleurs inventé sa surprise. Césarine, la chère enfant, avait employé tout son petit trésor, cent louis, à acheter des livres à son père. Monsieur Grindot lui avait un matin confié qu’il y aurait deux corps de bibliothèque dans la chambre de son père, laquelle formait cabinet, une surprise d’architecte. Césarine avait jeté toutes ses économies de jeune fille dans le comptoir d’un libraire, pour offrir à son père : Bossuet, Racine, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Montesquieu, Molière, Buffon, Fénelon, Delille, Bernardin de Saint-Pierre, La Fontaine, Corneille, Pascal, La Harpe, enfin cette bibliothèque vulgaire qui se trouve partout et que son père ne lirait jamais. Il devait y avoir un terrible mémoire de reliure. L’inexact et célèbre artiste Thouvenin avait promis de livrer les volumes le seize à midi. Césarine avait confié son embarras à son oncle Pillerault, et l’oncle s’était chargé du mémoire. La surprise de César à sa femme était une robe de velours cerise garnie de dentelles, dont il venait de parler à sa fille, sa complice. La surprise de madame Birotteau pour le nouveau chevalier consistait en une paire de boucles d’or et un solitaire en épingle. Enfin il y avait pour toute la famille la surprise de l’appartement, laquelle devait être suivie dans la quinzaine de la grande surprise des mémoires à payer.

César pesa mûrement quelles invitations devaient être faites en personne et quelles portées par Raguet, le soir. Il prit un fiacre, y mit sa femme enlaidie d’un chapeau à plumes et du dernier châle donné, le cachemire qu’elle avait désiré pendant quinze ans. Les parfumeurs en grande tenue s’acquittèrent de vingt-deux visites dans une matinée.

César avait fait grâce à sa femme des difficultés que présentait au logis la confection bourgeoise des différents comestibles exigés par la splendeur de la fête. Un traité diplomatique avait eu lieu entre l’illustre Chevet et Birotteau. Chevet fournissait une superbe argenterie, qui rapporte autant qu’une terre par sa location ; il fournissait le dîner, les vins, les gens de service commandés par un maître-d’hôtel d’aspect convenable, tous responsables de leurs faits et