Page:Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu/310

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je ne puis vous offrir, comme à Dieu même, que les dons que je tiens de vous.

Faut-il vous avouer ma faiblesse et mes craintes ? Jusqu’à présent je me suis toujours défié de moi. Il n’y a pas huit jours que j’ai rougi de mon cœur et cru toutes vos bontés perdues. Ce moment fut cruel et décourageant pour la vertu : grâce au ciel, grâce à vous, il est passé pour ne plus revenir. Je ne me crois plus guéri seulement parce que vous me le dites, mais parce que je le sens. Je n’ai plus besoin que vous me répondiez de moi ; vous m’avez mis en état d’en répondre moi-même. Il m’a fallu séparer de vous et d’elle pour savoir ce que je pouvais être sans votre appui. C’est loin des lieux qu’elle habite que j’apprends à ne plus craindre d’en approcher.

J’écris à madame d’Orbe, le détail de notre voyage. Je ne vous le répéterai point ici. Je veux bien que vous connaissiez toutes mes faiblesses, mais je n’ai pas la force de vous les dire. Cher Wolmar, c’est ma dernière faute : je me sens déjà si loin que je n’y songe point sans fierté ; mais l’instant en est si près encore que je ne puis l’avouer sans peine. Vous qui sûtes pardonner mes égarements, comment ne pardonneriez-vous pas la honte qu’a produit leur repentir ?

Rien ne manque plus à mon bonheur ; milord m’a tout dit. Cher ami, je serai donc à vous ? J’élèverai donc vos enfants ? L’aîné des trois élèvera les deux autres ? Avec quelle ardeur je l’ai désiré ! Combien l’espoir d’être trouvé digne d’un si cher emploi redoublait mes soins pour répondre aux vôtres ! Combien de fois j’osai montrer là-dessus mon empressement à Julie ! Qu’avec plaisir j’interprétais souvent en ma faveur vos discours et les siens ! Mais quoiqu’elle fût sensible à mon zèle et qu’elle en parût approuver l’objet, je ne la vis point entrer assez précisément dans mes vues pour oser en parler plus ouvertement. Je sentis qu’il fallait mériter cet honneur et ne pas le demander. J’attendais de vous et d’elle ce gage de votre confiance et de votre estime. Je n’ai point été trompé dans mon espoir : mes amis, croyez-moi, vous ne serez point trompés dans le vôtre.

Vous savez qu’à la suite de nos conversations sur l’éducation de vos enfants j’avais jeté sur le papier quelques idées qu’elles m’avaient fournies et que vous approuvâtes. Depuis mon départ, il m’est venu de nouvelles réflexions sur le même sujet, et j’ai réduit le tout en une espèce de système que je vous communiquerai quand je l’aurai mieux digéré, afin que vous l’examiniez à votre tour. Ce n’est qu’après notre arrivée à Rome, que j’espère pouvoir le mettre en état de vous être montré. Ce système commence où finit celui de Julie, ou plutôt il n’en est que la suite et le développement ; car tout consiste à ne pas gâter l’homme de la nature en l’appropriant à la société.

J’ai recouvré ma raison par vos soins : redevenu libre et sain de cœur, je me sens aimé de tout ce qui m’est cher, l’avenir le plus charmant se présente à moi : ma situation devrait être délicieuse ; mais il est dit que je n’aurai jamais l’âme en paix. En approchant du terme de notre voyage, j’y vois l’époque du sort de mon illustre ami ; c’est moi qui dois pour ainsi dire en décider. Saurai-je faire au moins une fois pour lui ce qu’il a fait si souvent pour moi ? Saurai-je remplir dignement le plus grand, le plus important devoir de ma vie ? Cher Wolmar, j’emporte au fond de mon cœur toutes vos leçons, mais, pour savoir les rendre utiles, que ne puis-je de même emporter votre sagesse ! Ah ! si je puis voir un jour Edouard heureux ; si, selon son projet et le vôtre, nous nous rassemblons tous pour ne nous plus séparer, quel vœu me restera-t-il à faire ? Un seul, dont l’accomplissement ne dépend ni de vous, ni de moi, ni de personne au monde, mais de celui qui doit un prix aux vertus de votre épouse et compte en secret vos bienfaits.

Lettre IX à Madame d’Orbe

Où êtes-vous, charmante cousine ? Où êtes-vous, aimable confidente de ce faible cœur que vous partagez à tant de titres, et que vous avez consolé tant de fois ? Venez, qu’il verse aujourd’hui dans le vôtre l’aveu de sa dernière erreur. N’est-ce pas à vous qu’il appartient toujours de le purifier, et sait-il se reprocher encore les torts qu’il vous a confessés ? Non, je ne suis plus