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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/102

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

marque flétrissante que je portais innocemment sur mon malheureux corps ; ils s’approchèrent de moi, ils me touchèrent brutalement partout, faisant avec des plaisanteries mordantes la critique de tout ce que je leur offrais malgré moi. Cette douloureuse scène finie, ils s’éloignèrent un peu ; Dalville saisissant alors un fouet de poste, toujours placé à portée de nous, m’en cingla cinq ou six coups à tour de bras sur toutes les parties de mon corps.

— Voilà comme tu seras traitée, coquine, me dit-il en me les appliquant, quand malheureusement tu manqueras à ton devoir ; je ne te fais pas ceci pour y avoir manqué, mais seulement pour te montrer comme je traite celles qui y manquent.

Chaque coup m’emportant la peau et n’ayant jamais senti de douleurs aussi vives ni dans les mains de Bressac, ni dans celles des barbares moines, je jetai les hauts cris en me débattant sous mes fers ; ces contorsions et ces hurlements servirent de risée aux monstres qui m’observaient, et j’eus la cruelle satisfaction d’apprendre là que s’il est des hommes qui, guidés par la vengeance ou par d’indignes voluptés, peuvent s’amuser de la douleur des autres, il est d’autres êtres assez barbarement organisés pour goûter les mêmes charmes sans autres motifs que la jouissance de l’orgueil, ou la plus affreuse curiosité. L’homme est donc naturellement méchant, il l’est donc dans le délire de ses passions presque autant que dans leur calme, et dans tous les cas les maux de son semblable peuvent donc devenir d’exécrables jouissances pour lui.

Trois réduits obscurs et séparés l’un de l’autre, fermés comme des prisons, étaient autour de ce puits ; un des valets qui m’avaient attachée m’indiqua la mienne et je me retirai après avoir reçu de lui la portion d’eau, de fèves et de pain qui m’était destinée. Ce fut là où je pus enfin m’abandonner tout à l’aise à l’horreur de ma situation. Est-il possible, me disais-je, qu’il y ait des hommes assez barbares pour étouffer en eux le sentiment de la reconnaissance, cette vertu où je me livrerais avec tant de charmes, si jamais une âme honnête me mettait dans le cas de la sentir ? peut-elle donc être méconnue des hommes, et celui qui l’étouffe avec autant d’inhumanité doit-il être autre chose qu’un monstre ?