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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/104

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

était compromise ; si Cadix acceptait ses piastres et ses louis faux, et lui envoyait pour cela d’excellent papier sur Venise, il était heureux le reste de ses jours ; si la friponnerie se découvrait, il courait risque d’être dénoncé et pendu comme il le méritait. Hélas, me dis-je alors en apprenant ces particularités, la providence sera juste une fois, elle ne permettra pas qu’un monstre comme celui-là réussisse et nous serons toutes trois vengées. Sur les midi on nous donnait deux heures de repos dont nous profitions pour aller toujours séparément respirer et dîner dans nos chambres ; à deux heures on nous renchaînait et on nous faisait tourner jusqu’à la nuit sans qu’il nous fût jamais permis d’entrer dans le château. La raison qui nous faisait tenir ainsi nues cinq mois de l’année, était à cause des chaleurs insoutenables avec le travail excessif que nous faisions, et pour être d’ailleurs à ce que m’assurèrent mes compagnes, plus à portée de recevoir les coups que venait nous appliquer de temps en temps notre farouche maître. L’hiver, on nous donnait un pantalon et un gilet serré sur la peau, espèce d’habit qui nous enfermant étroitement de partout, exposait de même avec facilité nos malheureux corps aux coups de notre bourreau. Dalville ne parut point ce premier jour, mais vers minuit, il fit la même chose qu’il avait faite la veille. Je voulus profiter de ce moment pour le supplier d’adoucir mon sort.

— Et de quel droit, me dit le barbare, est-ce parce que je veux bien passer un instant ma fantaisie avec toi ? mais vais-je à tes pieds exiger des faveurs de l’accord desquelles tu puisses exiger quelque dédommagement ? Je ne te demande rien… je prends et je ne vois pas que de ce que j’use d’un droit sur toi, il doive résulter qu’il me faille abstenir d’en exiger un second. Il n’y a point d’amour dans mon fait, c’est un sentiment qui ne fut jamais connu de mon cœur. Je me sers d’une femme par nécessité, comme on se sert d’un vase dans un besoin différent, mais n’accordant jamais à cet être, que mon argent ou mon autorité soumet à mes désirs, ni estime ni tendresse, ne devant ce que je prends qu’à moi-même et n’exigeant jamais d’elle que de la soumission, je ne vois pas que je sois tenu d’après cela à lui accorder aucune gratitude. Il vaudrait autant dire