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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/120

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

que ce pût être contre moi. En réfléchissant seule à toute cette aventure, je vis que le conseil de ce jeune homme se trouvait d’autant meilleur qu’il était aussi certain que j’avais l’air coupable comme il était sûr que je ne l’étais pas ; que la seule chose qui parlât vivement en ma faveur — l’avis donné à Dubreuil, mal expliqué peut-être par lui à l’article de la mort — ne deviendrait pas une preuve aussi triomphante que je devais y compter, moyen en quoi je me décidai promptement. J’en fis part à l’associé de Dubreuil.

— Je voudrais, me dit-il, que mon ami m’eût chargé de quelques dispositions favorables à votre égard, je les remplirais avec le plus grand plaisir ; je voudrais même, me dit-il, qu’il m’eût dit que c’était à vous qu’il devait le conseil de garder sa chambre pendant qu’il sortait avec vous ; mais il n’a rien fait de tout cela, il nous a seulement dit à plusieurs reprises que vous n’étiez point coupable et de ne vous poursuivre en quoi que ce soit. Je suis donc contraint à me borner aux seules exécutions de ses ordres. Le malheur que vous me dites avoir éprouvé pour lui me déciderait à faire quelque chose de plus de moi-même si je le pouvais, mademoiselle, mais je commence le commerce, je suis jeune et ma fortune est extrêmement bornée ; pas une obole de celle de Dubreuil ne m’appartient, je suis obligé de rendre à l’instant le tout à sa famille. Permettez donc, Sophie, que je me restreigne au seul petit service que je vais vous rendre ; voilà cinq louis, et voilà, me dit-il en faisant monter dans sa chambre une femme que j’avais entrevue dans l’auberge, voilà une honnête marchande de Chalon-sur-Saône ma patrie, elle y retourne après s’être arrêtée vingt-quatre heures à Lyon où elle a affaire.

Mme Bertrand, dit ce jeune homme en me présentant à cette femme, voici une jeune personne que je vous recommande ; elle est bien aise de se placer en province ; je vous enjoins, comme si vous travailliez pour moi-même, de vous donner tous les mouvements possibles pour la placer dans notre ville d’une manière convenable à sa naissance et à son éducation. Qu’il ne lui en coûte rien jusque-là, je vous tiendrai compte de tout à la première vue… Adieu, Sophie… Mme Bertrand part cette nuit, suivez-la et qu’un peu plus de bonheur puisse vous accompagner dans une ville, où