Aller au contenu

Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
392
LES INFORTUNES DE LA VERTU.

candeur et ma confiance ordinaires je ne lui laissai rien ignorer de tout ce qui me concernait. Je lui avouai toutes mes fautes, et lui confiai tous mes malheurs, rien ne fut omis, pas même la marque honteuse dont m’avait flétrie l’exécrable Rodin.

Le père Raphaël m’écouta avec la plus grande attention, il me fit répéter même plusieurs détails avec l’air de la pitié et de l’intérêt… et ses principales questions portèrent à différentes reprises sur les objets suivants :

1o S’il était bien vrai que je fusse orpheline et de Paris.

2o S’il était bien sûr que je n’avais plus ni parents, ni amis, ni protection, ni personne à qui j’écrivisse.

3o Si je n’avais confié qu’à la bergère le dessein que j’avais d’aller au couvent, et si je ne lui avais point donné de rendez-vous au retour.

4o S’il était constant que je fusse vierge et que je n’eusse que vingt-deux ans.

5o S’il était bien certain que je n’eusse été suivie de personne, et que qui que ce fût ne m’eût vue entrer au couvent.

Ayant pleinement satisfait à ces questions et y ayant répondu de l’air le plus naïf :

— Eh bien, me dit le moine en se levant, et me prenant par la main, venez, mon enfant ; il est trop tard pour vous faire saluer la vierge ce soir, je vous procurerai la douce satisfaction de communier demain aux pieds de son image, mais commençons par songer à vous faire ce soir et souper et coucher.

En disant cela, il me conduit vers la sacristie.

— Eh quoi, lui dis-je alors avec une sorte d’inquiétude dont je ne me sentais pas maîtresse, eh quoi, mon père, dans l’intérieur de votre maison ?

— Et où donc, charmante pèlerine, me répondit le moine, en ouvrant une des portes du cloître donnant dans la sacristie et qui m’introduisait entièrement dans la maison… Quoi, vous craignez de passer la nuit avec quatre religieux ? Oh vous verrez, mon ange, que nous ne sommes pas si bigots que nous en avons l’air et que nous savons nous amuser d’une jolie fille.

Ces paroles me firent tressaillir : Ô juste ciel, me dis-je à moi-même, serais-je donc encore la victime de mes bons