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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/71

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

— Si je n’avais pas pris de l’avance quand cette belle princesse est arrivée, dit Clément, elle ne sortirait parbleu pas sans servir de même une seconde fois à mes passions, mais elle ne perdra rien pour attendre.

— Je lui promets la même chose, dit Jérôme, en me faisant sentir la vigueur de son bras à l’instant où je passais auprès de lui, mais pour ce soir allons tous nous coucher.

Raphaël se trouvant du même avis, les orgies furent rompues ; il retint près de lui Florette qui sans doute y passa la nuit, et chacun se dispersa. J’étais sous la conduite d’Omphale ; cette sultane plus âgée que les autres me parut celle qui était chargée du soin des sœurs ; elle me mena dans notre appartement commun, espèce de tour carrée dans les angles de laquelle était un lit pour chacune de nous quatre. Un des moines suivait ordinairement les filles quand elles se retiraient, et en fermait la porte à deux ou trois verrous ; ce fut Clément qui se chargea de ce soin ; une fois là, il devenait impossible d’en sortir, il n’y avait d’autre issue dans cette chambre qu’un cabinet attenant pour nos aisances et nos toilettes, dont la fenêtre était aussi étroitement grillée que celle de l’endroit où nous couchions. D’ailleurs aucune sorte de meuble, une chaise et une table près du lit qu’entourait un méchant rideau d’indienne, quelques coffres de bois dans le cabinet, des chaises percées, des bidets et une table commune de toilette ; ce ne fut que le lendemain que je m’aperçus de tout cela ; trop accablée pour rien voir en ce premier moment, je ne m’occupai que de ma douleur. Ô juste ciel, me disais-je, il est donc écrit qu’aucun acte de vertu n’émanera de mon cœur sans qu’il ne soit aussitôt suivi d’une peine ! Eh quel mal faisais-je donc, grand Dieu, en désirant de venir accomplir dans cette maison quelque devoir de piété, offensai-je le ciel en voulant m’y livrer, était-ce là le prix que j’en devais attendre ? Ô décrets incompréhensibles de la providence, daignez donc un instant vous ouvrir à mes yeux si vous ne voulez pas que je me révolte contre vos lois ! Des larmes amères suivirent ces réflexions et j’en étais encore inondée, quand vers le point du jour Omphale s’approcha de mon lit.

— Chère compagne, me dit-elle, je viens t’exhorter à prendre du courage ; j’ai pleuré comme toi dans les premiers