Aller au contenu

Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
409
LES INFORTUNES DE LA VERTU.

douleurs, madame, vous vous les peignez extrêmes sans doute, et leur tableau monotone nuirait peut-être à ceux qui me restent à vous faire. Raphaël avait une cellule charmante, meublée par la volupté et le goût ; rien ne manquait de tout ce qui pouvait rendre cette solitude aussi agréable que propre au plaisir. Dès que nous y fûmes enfermés, Raphaël s’étant mis nu, et m’ayant ordonné de l’imiter, se fit longtemps exciter au plaisir par les mêmes moyens dont il s’y embrasait ensuite comme agent. Je puis dire que je fis dans cette soirée un cours de libertinage aussi complet que la fille du monde la plus stylée à ces exercices impurs. Après avoir été maîtresse, je redevins bientôt écolière, mais il s’en fallait bien que j’eusse traité comme on me traitait, et quoiqu’on ne m’eût point demandé d’indulgence, je fus bientôt dans le cas d’en implorer à chaudes larmes ; mais on se moqua de mes prières, on prit contre mes mouvements les précautions les plus barbares, et quand on se vit bien maître de moi, je fus traitée deux heures entières avec une sévérité sans exemple. On ne s’en tenait pas aux parties destinées à cet usage, on parcourait tout indistinctement, les endroits les plus opposés, les globes les plus délicats, rien n’échappait à la fureur de mon bourreau dont les titillations de volupté se modelaient sur les douloureux symptômes que recueillaient précieusement ses regards.

— Couchons-nous, me dit-il à la fin, en voilà peut-être trop pour toi, et certainement pas assez pour moi ; on ne se lasse point de ce saint exercice, et tout cela n’est que l’image de ce qu’on voudrait réellement faire.

Nous nous mîmes au lit ; Raphaël aussi libertin fut toujours aussi dépravé, et il me rendit toute la nuit l’esclave de ses criminels plaisirs. Je saisis un instant de calme où je crus le voir pendant ces débauches, pour le supplier de me dire si je devais espérer de pouvoir sortir un jour de cette maison :

— Assurément, me répondit Raphaël, tu n’y es entrée que pour cela ; quand nous serons convenus tous les quatre de t’accorder ta retraite, tu l’auras très certainement.

— Mais, lui dis-je à dessein de tirer quelque chose de lui, ne craignez-vous pas que des filles plus jeunes et moins discrètes que je ne vous jure d’être toute ma vie, n’aillent quelquefois révéler ce qui s’est fait chez vous ?