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Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/202

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nous, et nous mordent, et nous déchirent, je les ai chassées de lui. Aussi son cœur devint-il triste comme une forêt délivrée qui souffrirait à jamais de la mort des fauves. La haine, la rouge soif des massacres, l’envie, l’obscure tentation de torturer et de détruire, tout cela lui fut inconnu. Parce que j’étais toujours présent, lui soufflant continuellement ma volonté, la pâleur des inavouables jalousies, l’ardente rougeur des bestiales colères, n’altérèrent jamais son visage terriblement pur. Il eut cette sublime et dangereuse impuissance, l’impuissance du mal. De sorte qu’un formidable ennui s’installa dans son cœur trop noble. Aucune mauvaise pensée ne le soutint, ne l’enivra. J’avais tué sa vanité, et la pourpre même lui devint inutile puisqu’il ne pouvait plus s’enorgueillir de sa légitime royauté.

« Impitoyablement je l’avais forcé à la pitié. Quand des mendiants l’imploraient, il n’était plus capable de les écarter de son rêve par d’hypocrites consolations. Il ne savait plus, en plaignant les faibles et les estropiés, se réjouir en lui-même de sa jeune vigueur. Mais réellement, profondément, il sentait les maux qu’il contemplait, et ce souverain, grâce au