Aller au contenu

Page:Œuvres de C. Tillier - III.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
158
À M. DUFÊTRE.

vous êtes le serviteur ; mais, enfin, à quoi sert donc tout ce luxe dont vous vous revêtez ? Est-ce un paquet de passementerie qui traverse nos paroisses, ou un évêque qui les visite ! Si vous croyez que pour représenter un Dieu pauvre et dénué de tout sur la terre, il vous faille étaler les magnificences d’un nabab, alors voyagez à vos frais. Quand on va aux dépens des autres, il faut ménager leur bourse. Il n’y a pas besoin d’être un Fenélon et un Vincent de Paule pour sentir cela ! Je crois, monseigneur, que l’indemnité réclamée par vous est un peu exagérée ; vous avez mal établi vos comptes ; si vous repassiez vos calculs, je suis sûr que vous reconnaîtriez qu’il vous a été trop alloué, et vous êtes trop juste et trop généreux pour profiter d’une erreur.

Du reste, monseigneur, si vous gardiez ces deux mille francs, je craindrais que cela ne jetât sur vous comme un soupçon d’avidité. Quand vous nous prêchez l’abnégation et le désintéressement, il ne faut pas que votre exemple atténue l’autorité de vos paroles. Le suisse aurait beau agiter d’un air menaçant sa hallebarde, on chuchoterait toujours autour de votre chaire. « Ce prêtre qui veut que nous détachions notre âme des biens du monde, il reçoit dix mille francs de l’État ; on lui fournit un palais tout meublé, et il ne se trouve pas encore assez bien pourvu : il faut qu’on lui paie, en sus de son traitement, tous les pas qu’il fait dans le diocèse ! Ce n’est donc pas le désintéressement, c’est donc la cupidité qui est une vertu ; car lui qui est évêque, il doit savoir les choses du salut, et il ne court pas sciemment vers la perdition ; assurément il vaut mieux prendre le chemin qu’il suit que celui qu’il nous montre du bout de sa crosse ! » Vous auriez, monseigneur, beau faire feu de tous les foudres de votre éloquence, ces propos impies en détruiraient l’effet et rendraient stérile votre zèle, car on croit plutôt ce que font les prêtres que ce qu’ils disent.

Et qui sait si le conseil général ne vous tend pas un piège ? s’il ne veut pas atténuer votre considération en vous faisant passer pour un homme d’argent ? si, enfin, il ne s’entend pas avec moi ?