Aller au contenu

Page:Œuvres de C. Tillier - III.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
LETTRES AU SYSTÈME.

trône ses anneaux monstrueux : un jour ou l’autre, il peut venir me redemander cette couronne qui lui appartient et qui m’a été donnée en son nom. Il sait le chemin de ce palais, et à travers les arbres de mon jardin, j’aperçois la place où un de mes prédécesseurs a échangé sa couronne terrestre contre une couronne de martyr. Martyr ! ce nom est beau ; mais il ne peut percer les six pieds de terre qui couvrent ceux qui ne sont plus. Je suis, avec ces gens-là, comme le dompteur de bêtes féroces avec ses lions : tant qu’ils le craindront, il sera leur maître ; s’ils échappent à la fascination de son regard, il deviendra leur proie. J’ai bien, sur les marches de mon trône quelques milliers de privilégiés. Ces gens-là sont magnifiques dans leurs adresses ; ils ont à votre service du sang plein les veines ; ils sont toujours prêts à mourir pour vous et pour la patrie, pour la patrie et pour vous, c’est le refrain de toutes leurs harangues. Mais, ces gens-là, je les connais, ils n’ont des mains que pour recevoir, un cœur que pour s’aimer, et ils ne meurent jamais que de maladie. Tous les maîtres et tous les régimes leur sont bons, pourvu qu’ils laissent intacte leur position sociale. Matous patelins, c’est à la maison où leur écuelle est toujours pleine qu’ils sont attachés, et non à la famille. Que ce matin le diable monte sur l’autel, ce soir il viendront en procession baiser son ergot et lui dire que Dieu est un impie. J’ai encore de grands fonctionnaires qui me protestent de leur dévoûment. Leur dévoûment, je puis y compter tant qu’il n’y aura que des appointements à recevoir ; mais au jour de la lutte, ils passeront, avec brevets et bagage, du côté du plus fort, ou s’en iront dans leurs terres, pour reparaître un mois après. Vienne une émeute, j’aimerais mieux, pour défense, le briquet rouillé d’un invalide que le boutoir du terrible M. Dupin. »

Voilà ce que je me dirais si j’étais roi constitutionnel. Mais un roi constitutionnel ne pense guère à tout cela. Par un bienfait de la Providence, il n’a pas la conscience du danger qu’il court. Il est sur son trône comme le couvreur sur son échelle. Il règne