Aller au contenu

Page:Œuvres de C. Tillier - III.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
PEUT ÊTRE REMPLACÉE

regrette. Hélas ! j’en sais quelque chose, moi, des regrets que la défunte laisse après elle ; je pourrais dire comme disait Énée à Didon, en lui racontant le siège de Troie : « J’en suis le témoin et la victime ! » Vous êtes bien heureux, vous qui n’avez été ni parent ni ami de l’Association ; quand on vous rencontre, on vous demande comment vous vous portez, comment se portent votre femme et vos enfants, et cela ne laisse pas que de flatter votre amour-propre d’homme et de père de famille. Mais moi, quand on m’aborde, on me demande, sans même se donner le temps de m’ôter son chapeau : « Et votre journal, quand reparaîtra-t-il ? quand aurons-nous un journal ? » Je suis obligé de leur répondre ce que disait un philosophe grec à Périclès : « Monsieur, quand on veut qu’une lampe éclaire, il faut avoir le soin d’y mettre de l’huile. »

Le département se passe très bien de journal, me dit quelqu’un ; un département qui fume a assez de la feuille de la préfecture pour allumer son cigare. Pardon, Monsieur, c’est se passe très mal, qu’il faut dire. Ô rentiers, heureux volatiles qui pouvez bâtir votre nid partout où il vous convient ! si j’avais vos ailes dorées, je ne voudrais point m’arrêter dans un département qui n’aurait pas de journal ; j’aurais toujours peur qu’un mandat d’amener ne vînt me saisir au moment où je vais me mettre à table, ou bien que, quand je prends le frais à ma porte, un bon gendarme ne vînt me demander mes papiers ; ou encore que quelque perfide délateur ne me fît délivrer la croix d’honneur à mon insu.

Un journal est utile à tout le monde, aux grands comme aux petits, aux forts comme aux faibles. En vain certains grands seigneurs du régime actuel auxquels la presse a fait leur réputation, affectent, pour ses criailleries, un superbe dédain. Il n’est personne, si hautes que soient ses échasses, qui puisse dire qu’il n’aura jamais besoin que le journal lui vienne en aide : car le fort et l’oppresseur de la veille est souvent le faible et l’opprimé