Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prisé, et que maintenant elle commençait à détester à cause des chagrins et des ennuis qu’on lui suscitait à son sujet.

Néanmoins Cedric, dont l’opinion sur la constance des femmes était loin de leur être favorable, persistait à user de toute son influence pour faire réussir le mariage projeté, qui, d’après ses idées, devait servir si efficacement la cause des Saxons. La soudaine et romanesque apparition de son fils lui avait paru avec raison porter un coup mortel à ses chères espérances. L’amour paternel, il est vrai, avait un instant remporté la victoire sur son orgueil outré et son ardent patriotisme ; mais ces deux sentiments avaient repris tout leur empire, et Cedric était déterminé à tenter un dernier effort pour l’union de sa pupille et d’Athelstane, et à prendre ensuite les mesures propres à hâter l’affranchissement de sa patrie.

C’était de ce dernier sujet qu’il s’entretenait en ce moment avec son compagnon de route, non sans avoir de temps en temps raison de se plaindre, comme Hotspur[1], de rencontrer un homme si faible pour l’exécution d’un projet si glorieux ; c’était, pour ainsi dire, présenter une jatte de lait écrémé à un palais délicat et sensuel. Il est vrai qu’Athelstane avait une bonne dose de vanité, que ses oreilles étaient agréablement chatouillées par un discours qui lui rappelait sa haute origine et son droit héréditaire aux hommages et à la souveraineté ; mais son amour-propre se trouvait satisfait par le salut de main[2] de ses vassaux et des Saxons qui l’approchaient. Il savait au besoin braver le danger, mais il redoutait l’embarras d’aller le chercher ; et si, d’un côté, il tombait d’accord avec Cedric sur les droits qu’avaient les Saxons à recouvrer leur indépendance, de l’autre il n’était pas moins convaincu de la validité de ses droits à occuper le trône lorsque cette indépendance aurait été conquise. Mais quand le Saxon lui parlait de la nécessité de faire valoir ses légitimes prétentions, il redevenait Athelstan-l’Indolent, se montrait irrésolu, temporiseur, peu disposé à rien entreprendre ; et les énergiques exhortations de Cedric n’avaient pas plus d’effet sur son âme impassible que des boulets rouges qui en tombant dans l’eau y produisent un frémissement et un dégagement de vapeur, puis aussitôt se refroidissent.

  1. Hotspur, mot qui veut dire éperon chaud, est un des personnages dramatiques de Shakspeare ; c’était le fils du duc de Northumberland. a. m.
  2. On sait que les Anglais n’ôtent point leur chapeau pour saluer, mais ils se font réciproquement un geste de la main droite en avant. a. m.