Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dignation qu’il lui devenait impossible de réprimer, « je ne te paierai rien, pas même une obole, à moins que ma fille ne me soit rendue.

— As-tu perdu le sens, misérable juif ? Ta chair et ton sang sont-ils assurés par un talisman contre le fer rouge et l’huile bouillante ?

— Peu m’importe ! » répondit Isaac poussé au désespoir et profondément blessé dans ses affections paternelles, « fais tout ce que tu voudras ; ma fille est ma chair et mon sang ; elle m’est plus précieuse mille fois que les membres sur lesquels ta rage veut s’exercer. Non, je ne te donnerai point d’argent, à moins que je ne puisse le verser tout fondu dans ton gosier ; je ne te donnerai pas un denier, fût-ce même pour te sauver de l’éternelle damnation que toute ta vie a si bien méritée. Arrache-moi l’âme, si tu veux, Nazaréen ; invente de nouvelles tortures pour un juif, et va dire aux chrétiens que j’ai su les braver.

— C’est ce que nous allons voir, dit Front-de-Bœuf ; car, par la sainte messe, qui est en abomination chez ta nation maudite, tu vas être livré au fer et au feu… Qu’on le saisisse, » dit-il aux esclaves, « qu’on le dépouille, et qu’on l’enchaîne sur ces barreaux. »

En dépit de ses faibles efforts, les Sarrasins avaient déjà dépouillé le Juif de son manteau, et s’apprêtaient à lui ôter ses derniers vêtements, quand le son du cor se fit entendre trois fois, et pénétra jusqu’au fond du caveau ; immédiatement après, plusieurs voix appelèrent Front-de-Bœuf. Celui-ci, ne voulant pas être surpris dans cet acte de barbarie infernale, fit signe aux esclaves de rendre son manteau à Isaac, puis de se retirer ; enfin, sortant du cachot, il laissa le Juif, tantôt remercier Dieu du répit qu’il lui donnait, tantôt gémir sur la captivité et sur la détresse de sa fille, suivant qu’il était dominé par l’un ou l’autre de ces sentiments divers.