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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/308

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pas certaines prétentions, en vit assez pour juger favorablement l’étoffe par l’échantillon.

Il commença néanmoins avec la plus grande sévérité : « Eh bien ! insolente coquine, me direz-vous pourquoi je n’ordonnerais pas qu’on vous trempât dans l’étang pour avoir osé lever la main sur cet homme en ma présence ?

— Vraiment, reprit la coupable, parce que je pense que Votre Honneur ne juge pas le bain froid nécessaire à ma maladie.

— Une peste de friponne, dit tout bas le docteur à Roland Græme ; et je garantis que c’en est une charmante ; sa voix est aussi douce que du sirop. Mais, ma jolie fille, continua-t-il, vous nous montrez bien peu de votre visage. Ayez la complaisance d’ôter votre mentonnière.

— J’espère que Votre Honneur m’excusera jusqu’à ce que nous soyons en particulier, reprit-elle ; j’ai des connaissances ici, et je ne voudrais pas être citée dans le pays pour la pauvre fille qui a servi de plaisanterie à ce misérable fourbe.

— Ne crains rien pour ta réputation, mon petit morceau de sucre candi, reprit le docteur ; car je te proteste, foi de chambellan de Lochleven de Kinross, et cetera, que la chaste Susanne elle-même n’aurait pu respirer cet élixir sans éternuer ; c’est une curieuse distillation d’acetum rectifié, ou de vinaigre de soleil, que j’ai préparée moi-même. Mais puisque tu dis que tu viendras me voir en particulier, et que tu m’exprimeras tes regrets de la faute dont tu t’es rendue coupable, j’ordonne que l’on continue comme si rien n’était arrivé.

La demoiselle s’inclina et retourna à sa place. Le divertissement continua, mais il n’attirait plus l’attention de Roland Græme.

La voix, la taille, et ce que le voile laissait apercevoir du cou et des cheveux de la villageoise offraient tant de ressemblance avec Catherine Seyton, qu’il se sentait comme égaré dans un songe fantastique. La scène mémorable de l’hôtellerie s’offrait à son souvenir, accompagnée de toutes ses circonstances merveilleuses. Le récit des enchantements qu’il avait lus dans des romans se réalisait-il dans cette fille extraordinaire ? Pouvait-elle se transporter hors des hautes murailles du château de Lochleven, entouré de son grand lac (et il y jetait les yeux comme pour s’assurer qu’il existait toujours) ? pouvait-elle échapper à la surveillance de la garnison, surveillance aussi rigoureuse que l’exigeait le salut d’une nation tout entière ? pouvait-elle surmonter tous ces